Berlinale 2018 – compétition jour #4: La prière / Figlia mia / Toppen av ingenting (The Real Estate)
4e jour de compétition, les yeux commencent déjà à se creuser, les patiences à s’émousser et les avis à se trancher ! Journée éclectique allant crescendo, avec un premier film, La Prière de Cédric Kahn, très décevant, le film italien de la mi-journée qui a enchanté les journalistes et le dernier qui les a divisé autour d’un film scandinave totalement déjanté !
La prière
Autant le dire dès le début : ce film part d’une bonne idée, elle est malheureusement très mal traité, mal dégrossie, tout simplement gâchée. Elle est mise à plat, sans aucun effort narratif, sans point de vue, et se contente de retranscrire une histoire réelle que les scénaristes Fanny Burdino et Samuel Doux ainsi que le réalisateur Cédric Kahn ont écrite à la suite de la rencontre qu’ils ont faite avec cette communauté qui les a fascinés. « Au départ, » explique le réalisateur, « nous voulions faire un documentaire sur le sujet, puis cela s’est développé en film de fiction. » Dommage qu’il ne soit pas resté sur cette première idée qui aurait été bien plus forte et touchante que cette mauvaise restitution.
Le jeune toxicomane Thomas se retrouve dans une communauté religieuse dans les Alpes qui accueille des toxicomanes et alcooliques de différents pays désirant se sortir de l’addiction. Leurs journées sont rythmées par le travail en plein air, les prières et des groupes de parole. Les nouveaux arrivants ne sont jamais seuls, toujours accompagnés par un compagnon nommé “ange-gardien”. Une fois le sevrage physique accompli, le plus dur pour ces jeunes est de devoir se soumettre aux règles strictes de la communauté et de ne jamais pouvoir être seul. C’est contre cela que Thomas va devoir lutter au début de son séjour. Petit à petit, il va trouver sa place dans cette communauté qui fait preuve d’un grand sens de la fraternité, tout en tombant amoureux d’une jeune fille du village.
Chaque élément de cet argument est intéressant, mais à chaque étape du déroulé quelque chose cloche. On passera sur l’épisode de révélation divine dans la montagne, mais prenons deux exemples : le rôle de la fille dont Thomas est amoureux n’a aucune dimension et n’est qu’une projection utilitaire qui sert à faire évoluer le personnage principal. Encore plus étonnant, alors que l’une des intentions du film est de faire passer les témoignages de ces jeunes à la dérive, en réalité il ne semble y avoir aucun travail en profondeur sur les personnages. Même lorsqu’ils témoignent face à leurs compagnons, face caméra pour le spectateur, l’empathie, l’émotion ne traverse pas l’écran. Le manque d’authenticité est patent, et c’est dommage. Le sujet aurait mérité un meilleur traitement, tant au niveau documentaire de cette expérience liant addiction, sevrage et religion, tant qu’au niveau effleuré dans la fiction : celle du libre arbitre de l’être humain.
De Cédric Kahn; avec Anthony Bajon, Damien Chapelle, Alex Brendemühl, Louise Grinberg, Hanna Schygulla, Antoine Amblard; France, 2018; 107 minutes.
Figlia mia
Enfin un film italien qui ne porte ni sur la mafia ni sur la classe moyenne des grandes villes !
Vittoria, qui va fêter ses 10 ans, grandit un peu à l’écart des enfants de son âge, dans un village sarde encore peu touché par le tourisme. A une fête locale, elle rencontre Angelica (Alba Rohrwacher), une femme totalement différente de sa mère Tina (Valeria Golino), sans savoir que ces deux femmes ont un secret commun: Tina rend régulièrement visite à Angelica et aide au maintien de sa ferme isolée dans laquelle elle vit de manière insouciante avec ses animaux. La petite fille se sent attirée par Angelica et,très vite,va se rendre compte que cela ne va pas plaire à sa mère. C’est pourquoi elle va commencer à lui rendre visite en cachette, fascinée par la liberté et l’audace qu’elle dégage.
Caméra très mobile, échevelée comme la course que ne cesse de courir les unes après les autres ce magnifique trio féminin, prenant parfois des allures de chorégraphie. Avec beaucoup de finesse Laura Bispuri, déjà en compétition en 2015 avec Vergine giurata (Vierge sous serment – voir notre critique) – dans lequel l’actrice Alba Rohrwacher jouait également le rôle principal -, met en scène deux femmes qui ont clairement chacune un trouble profond antithétique tout en dégageant un sentiment de symbiose qui ne s’arrête pas prosaïquement au lien qui les unit pour le pire et le meilleur, leur petite fille. Ces mouvements incessants avant/arrière, parfois sur de longs plans, entraîne le spectateur dans le flux d’émotions des protagonistes, qui dans les moments les plus dramatiques produisent un air claustrophobique tellement nous sommes au plus près d’elles. Elles, car comme pour le film paraguayen également en compétition Las herederas (Les héritières), les hommes ne jouent qu’un rôle d’arrière-plan, même si dans Figlia mia, celui du père porte tout de même une dimension de pôle d’équilibre. La Sardaigne, sa chaleur aride et ses couleurs chaudes sont un personnage à part entière. Laura Bispuri explique :
Le choix de la Sardaigne est un choix instinctif. Comme pour Vergine giurata, j’ai effectué beaucoup de recherches afin de comprendre en profondeur le monde dont je veux parler. Le paysage est une réflexion du film : ce paysage est puissant et il renvoie à la force de ces trois personnages féminins. La Sardaigne est également un territoire avec une identité forte et profonde mais qui est aussi confronté à l’altérité – par le tourisme par exemple – ce qui l’amène à se mesurer à cette question de l’identité. Ceci se reflète fortement dans les personnages, principalement dans celui de Vittoria.
Un très joli film, rempli d’émotions mais pas sentimental pour un sou, qui tient en haleine le spectateur – enfin un scénario qui n’est pas lisible sur l’écran dès les premières images – sans user d’effets artificiels.
De Laura Bispuri; avec Valeria Golino, Alba Rohrwacher, Sara Casu, Udo Kier, Michele Carboni; Italie, Allemagne, Suisse; 2018; 100 minutes.
Toppen av ingenting (The Real Estate)
Ce film est complètement déjanté! Une extravagance cinématographique, un objet filmique à peine identifiable… fascinant et répulsif, amoral et jubilatoire, atterrant et cathartique. Bref, un film qui ne peut être que scandinave dans sa crudité, son humour aventureux et le pragmatisme de ses moyens de productions : l’équipe minimaliste, composée des deux réalisateurs – Måns Månsson (réalisateur, caméraman et producteur) et Axel Petersén (réalisateur et scénariste) – et d’un ingénieur du son, a commencé à tourner sur fonds propres afin que la productrice Sigrid Helleday puisse montrer des parties du film aux investisseurs pour compléter le financement.
L’histoire tient en quelques lignes et pourtant elle n’est pas si anecdotique qui n’y paraît : Nojet, une femme de 68 ans qui vit depuis de nombreuses années à l’étranger, rentre en Suède pour les funérailles de son père duquel elle a hérité un immeuble dans le centre de Stockholm géré d’une manière plus que problématique par son neveu et son demi-frère. L’immeuble est dans un état déplorable et une grande partie des locataires ne possèdent pas de contrats de bail légaux. Elle prend conseil auprès un avocat, vieil ami de son père, Lex, également producteur de musique qui est justement en train d’organiser un gala pour des sans-abris. La solution qu’il propose est de vendre l’immeuble à une de ses connaissances mais la vente ne va pas se faire. Ici, le cynisme arrive à son comble puisqu’ils discutent de mettre des gens à la rue pendant qu’un chanteur répète un morceau, dans la plus belle veine de la chanson emmiellée, sur les sans-abris. Nojet, une femme qui se fout des conventions et de la bien-pensance, peu encline aux compromis, totalement dédiée à sa liberté, ne lâche rien. Elle va ainsi se retrouver dans une situation cauchemardesque entre les locataires hostiles et son neveu et demi-frère encore plus hostiles et, comme l’idée d’injustice lui est insupportable, va se battre jusqu’au bout de l’absurdité pour ce qu’elle estime être son bon droit. L’argument de l’histoire se réfère à un problème qui se pose avec acuité en Suède où le manque de logement est un véritable phénomène de société. Cependant, le traitement de l’histoire est tellement disjoncté, qu’il n’est pas besoin de connaître ou suivre tous les tenants et aboutissants du film pour entrer dans la transe quasi psychédélique d’images en gros, très gros, très très gros plans, avec des effets récurrents de reflets, de distorsion, tout comme parfois le son se distord, se brouille, se perd dans le flou visuel.
Léonore Ekstrand, l’actrice qui joue Nojet est phénoménale. Elle fait corps – il vaut mieux d’ailleurs, étant donné l’extrême intimité qu’elle doit partager avec la caméra – sans fard ni pudeur avec son personnage. Elle porte la pellicule sur tous les grains de sa peau, elle enrage l’écran de son désespoir, elle est l’oxymore qui définit continuellement ce film – on devrait l’abhorrer, on prend pourtant parti pour elle.
Les critiques ont pour la plupart d’entre eux détesté, la version en ligne de Variety a même désigné The Real Estate comme étant «le film le plus laid de cette compétition ». Il a donc peu de chances d’être programmé dans des cinémas. Mais si l’occasion se présente, n’y allez surtout pas. À moins que vous aimiez les expériences cinématographiques qui font que cet art reste un art vivant !
De Måns Månsson et Axel Petersén; avec Léonore Ekstrand, Christer Levin, Christian Saldert, Olof Rhodin, Carl Johan Merner, Don Bennechi; Suède, Royaume uni; 2018; 88 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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