Berlinale 2018 – Panorama Special : Styx
Styx, le fleuve de l’enfer qui coule dans une veine du monde actuel
Styx de Wolfgang Fischer, fait l’ouverture de Panorama Special de la 68è édition de la Berlinale.
Pour sûr, un tel titre n’augure pas d’une comédie ! Effectivement, le titre n’est pas mensonger, il s’agit bel et bien d’un drame. Si, par la formule consacrée et éculée, « l’enfer c’est les autres », le huis clos qui se déroule ici, sur une mer tantôt déchaînée comme l’océan tantôt calme comme un lac, ouvre, comme l’intention existentialiste de la pièce de Sartre, sur ce que les actes individuels – et les non-actes – engageant le collectif.
Rike (Susanne Wolff) est médecin urgentiste. Pour couper avec son quotidien éprouvant, elle décide de rejoindre en solitaire une petite île de l’Atlantique, Ascension, un rêve qu’elle nourrit avec le livre que Charles Darwin avait consacré à cette île aride qu’il avait décidé de boiser artificiellement. Elle part, heureuse et volontaire de Gibraltar, profite de cette solitude idyllique jusqu’au premier gros grain qu’elle doit affronter. La fin de la tempête annonce la fin de ses vacances : à quelques centaines de mètres de son voilier, un bateau surchargé à la dérive avec des naufragés qui lui font des signes désespérés. Rike suit la procédure officielle d’appel au secours, tout d’abord les gardes-côtes, puis un navire marchand alentour. Quand il devient évident que personne ne va venir en aide aux migrants, Rike doit agir. Mais comment faire face à des dizaines de personnes désespérées quand on est seul-e sur un voilier ?
Avec une caméra au plus près de Susanne Wolff, de ses gestes, des éléments du voilier, le cinéaste autrichien surligne parfaitement le contraste de ce huis clos et le drame intime qui se joue avec l’immensité de la mer et le combat éperdu pour la survie des autres hors de son périmètre de sécurité.
Coup de poing au ventre de l’humanité
Sans juger ni donner de leçons au niveau individuel, le film confronte la protagoniste à ses propres actions – sans manichéisme non plus, puisque les bonnes intentions peuvent également contenir une dimension néfaste. Il défie également constamment le spectateur : « que ferais-je à sa place ? » C’est une question obsédante et, si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, à laquelle il n’y a pas d’évidente réponse. C’est ici peut-être que le film pèche par un peu trop de didactisme et peut offrir au spectateur une porte de sortie bien commode : Rike est médecin urgentiste, non seulement elle a fait le serment de préserver la santé dans tous ses éléments, mais en plus elle a une vocation qui a priori l’entraîne plus facilement que le quidam dans une attitude de courage civique, sans compter qu’elle a des capacités professionnelles spécifiques lui permettant d’agir dans des situations extrêmes. Dommage que la réflexion proposée de l’écran vers la salle ne renvoie pas plus radicalement le spectateur dans ses retranchements face aux dilemmes moraux et au courage civique, qui lui aussi a ses limites.
Ce que Styx dit de l’état du monde de manière général porte en revanche un avis implacable sur l’inhumanité des intérêts économico-politiques internationaux qui régissent les frontières naturelles que sont les mers – comme malheureusement l’actualité de ces dernières années nous l’a montré, également les déserts et les montagnes – et laissent à l’abandon des naufragés qui finissent dans la fosse commune clandestine des fonds marins.
De Wolfgang Fischer ; avec Susanne Wolff et Gedion Oduor Wekesa; Allemagne, Autriche; 2018; 94 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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