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Atlas du cinéaste tessinois Niccolò Castelli – L’expression de l’immanence cathartique

Atlas, le dernier film du cinéaste tessinois Niccolò Castelli vient d’ouvrir les 56e Journées de Soleure qui se déroulent cette année, pandémie oblige, en ligne (toutes les informations ici).

La trame de l’histoire est très simple : Allegra (Matilda De Angelis que l’on a pu voir récemment dans la série The Undoing), une jeune alpiniste passionnée, a survécu à un attentat terroriste au Maroc qui a tué trois de ses amis. Écrasée et consumée par la culpabilité et la haine, elle n’est plus elle-même. Ses proches, qui réagissent chacun.e à leur manière, sont impuissants face à sa souffrance et n’arrive plus à communiquer avec elle. Pour retrouver la confiance en la vie, elle doit s’engager dans un voyage reconstituant et se remettre en question. Elle rencontre Arad, un jeune réfugié du Moyen-Orient, ce qui l’amène à une rencontre-confrontation, autant avec l’Autre qu’avec elle-même.

— Matilda De Angelis – Atlas
Image courtoisie Journées de Soleure

Partant de cette histoire basée sur les événements tragiques de l’attentat de Marrakech du 28 avril 2011 qui avait fait 17 morts, dont 3 Tessinois.es, Niccolò Castelli fait un film d’une grande finesse, axé sur l’espace-temps de la reconstruction immanente, loin des idéologies péremptoires et des soutenances de thèses.  À l’ouverture des Journées de Soleure, il explique :

À partir des attentats de Marrakech, et ceux qui ont suivis sur le sol européen comme Bruxelles, Charlie Hebdo, Barcelone…, il y a eu comme une rupture pour beaucoup de Suisses de ma génération. On vivait un peu comme dans une bulle, un peu en dehors du monde. Et là dans cet attentat où il y a eu des morts tessinois, on s’est aperçus qu’on faisait partie de ce monde. On a commencé à avoir peur des Autres, ceux que l’on croise dans la rue, qui s’assoient à côté de nous dans le bus, peur de la différence.

L’agilité narrative d’Atlas est d’entremêler sans charger le propos ce combat individuel, incarné par Allegra, pour retourner à sa liberté de vivre, sortir de sa bulle délétère, retrouver sa place dans l’espace public, avec cette dimension collective qui se rapporte à la diversité dans nos sociétés. En ces temps étranges de pandémie, ce combat pour un retour à une certaine « normalité » prend une autre ampleur, la liberté de chacun.e étant bien entravée par ce fichu virus ! Le cinéaste a évoqué cet aspect avec notre consœur de la RTS, Julie Evard :

Nous avons fait le montage à Rome pendant le lockdown, et c’est clair que c’est devenu un thème. Qu’est-ce que c’est la liberté aujourd’hui? Quand j’ai commencé à écrire et pendant le développement du film, le thème c’était surtout la perte de liberté comparée aux autres, ainsi que les étrangers qui viennent ici et puis tout d’un coup on s’est aperçu que la liberté s’est aussi autre chose : se rapprocher des autres, pouvoir les toucher, utiliser un espace ensemble. La peur qu’on a maintenant c’est un peu la peur qui poursuit la protagoniste.

Il ajoute à Soleure :

La pandémie nous met dans une bulle individuelle qui nous fait renoncer à une partie de nous-mêmes, ce besoin de contact avec les autres.

Le montage, parlons-en ! Il est fabuleux. Les allers-retours dans le temps se font imperceptiblement, sans effets de ruptures, plutôt dans une continuité narrative disruptive où l’on prend conscience du changement temporel par la différence d’énergie qui se dégage de la première image de permutation. Cette méthode effilée de reconstitution de l’histoire est aussi reprise pour définir les états psychologiques des protagonistes qui, s’ils restent assez en retrait, n’en sont pas moins assez dessinés pour que le spectateur s’y retrouve tantôt chez l’un.e ou l’autre, voire plusieurs d’entre eux. Cette absence d’intention d’effets de manche est remarquable, d’autant plus que dans ce genre d’histoire, il est facile, et peut-être parfois plus simple, de tomber dans le travers de la surexplication.

Le parcours tragique et cathartique d’Allegra est symbolisé par ce qui la passionne : la pierre, le rocher, la montagne et son gravissement. Elle retrouve petit à petit son chemin, comme le Petit Poucet qui semait des petits cailloux blancs un à un derrière lui afin que lui et ses frères puissent retrouver leur chemin dans la forêt. Ses petites pierres ce sont celles que lui donne sa physio pour qu’elle puisse les serrer entre ses doigts et récupérer de la motricité, c’est le fait de suivre dans la rue un jeune homme au type moyen-oriental, de l’approcher puis de lui parler, c’est petit à petit faire face à ses démons, à ses cicatrices physiques que l’on regarde pour signifier celles psychiques, aux autres. Pour retrouver sa voie, Allegra va devoir agir et sur le corps et sur le psychisme, jouer du balancier pour retrouver l’équilibre. Ici, il n’est pas question seulement de force – combien de fois entend-on, lorsque l’adversité accable : sois fort.e ! – mais bel et bien de confiance à récupérer, d’abord envers soi avant de pouvoir la rendre aux autres. Bien sûr, ce chemin de croix est loin d’être linéaire et les rechutes participent à l’ascension. On ne sait pas comment l’avenir se dessine pour Allegra, mais pouvoir à nouveau projeter son regard vers la ligne d’horizon, au-dessus des sommets et savoir que d’autres connaissent de semblables cicatrices, nous permet d’être optimiste pour elle comme pour nous, qui que nous soyons, d’où nous venions, où que nous allions.

De Niccolò Castelli; avec Matilda De Angelis, Helmi Dridi, Irene Casagrande, Neri Marcoré, Angelo Bison, Nicola Perot, Anna Ferruzzo, Kevin Blaser, Anna Manuelli, Doro Müggler, Cristina Zamboni, Giacomo Bastianelli; Suisse, Italie, Belgique ; 2021 ; 88 minutes.

Malik Berkati

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Malik Berkati

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