Berlinale 2019 – Berlinale Special: Celle que vous croyez, le dernier film de Safy Nebbou offre un magnifique rôle à Juliette Binoche. Rencontre avec le réalisateur
Claire Millaud, quinquagénaire séduisante, mère divorcée de deux enfants, essaie d’oubliier que son mari l’a quittée pour une femme plus jeune en se livrant à une relation passionnelle avec un jeune amant, Ludo (Guillaume Gouix), un photographe mais cette liaison s’avère houleuse, instable et difficile. Quand Ludo met un terme à leur histoire, Claire se met à l’épier via les réseaux sociaux et pour se venger de lui, elle décide de se lier d’amitié sur Facebook avec son assistant, Alex (François Civil), âgé de vingt-neuf ans.
Via un faux profil, elle se fait passer pour Clara, vingt-quatre ans, et Alex mord à l’hameçon. Alors que leur échange virtuel s’intensifie, Alex décide de rencontrer la femme de ses rêves. Claire réussit toujours à inventer de nouvelles excuses éviter toute rencontre dans la vraie vie sans sans altérer leur relation en ligne. Accaparée par sa « relation » avec Alex, elle délaisse ses enfants et son travail qui passent à la trappe alors qu’elle succombe de plus en plus à l’attrait de ce monde parallèle – jusqu’à ce que la réalité s’impose, estompant le bonheur factice te éphémère, fruit d’un profil parfait construit de toutes pièces. Si tout se joue dans le virtuel, les sentiments sont bien réels. Une histoire vertigineuse où réalité et mensonge se confondent.
Adaptation du roman éponyme de Camille Laurens, le film de Safy Nebbou semble avoir divisé le public de journalistes lors de la dernière Berlinale. Si les femmes ont été séduites par le personnage interprété par Juliette Binoche, se sentant pait-être procès de cette femme meurtrie, abandonnée par un mari volage qui lui préfère une femme beaucoup plus jeune, les hommes sont restés indifférents à cette intrigue, voir l’ont détestée. Les femmes ont-elle trouvé dans le film de Safy Nebbou un reflet de leurs propres angoisses liées au diktat d’une éternelle jeunesse et d’un physique parfait malgré le temps qui passe ? Les hommes ont-il réagi si négativement face à un scénario qui pourrait les concerner tant le recours aux réseaux sociaux est devenu le monde de communication hégémonique de nos jours ? Se sentent-ils inconsciemment dérangés par un schéma qui pourrait se produire dans leur vie : être séduit et tomber amoureux d’une femme parfaire qui n’existe pas en réalité ?
De toute évidence, qu’il plaise aux unes, qu’il déplaise aux autres, le film de Safy Nebbou interroge, fascine, suite une réflexion riche et complexe sur les nouveaux modes de communication contemporaine.
Safy Nebbou s’est associé à Julie Peyr pour écrire le scénario de Celle que vous croyez. Lors de sa venue à Genève début mars, le cinéaste nous a confié ses motivations tout en avouant que cette histoire avait une résonance toute particulière en lui car il a lui-même été piégé par une femme via les réseaux sociaux.
Une femme de l’âge de Claire, qui s’est fait passer pour plus jeune, comme elle. Cette histoire, vous voyez je parle « d’histoire », m’est arrivé alors que j’étais en train d’écrire l’adaptation de Celle que vous croyez. Invraisemblable, non ? J’ai communiqué avec cette « fausse identité » pendant 3 mois avant de découvrir le pot aux roses. Comme Claire, elle avait utilisé la photo d’une autre. Je dois dire que je me suis beaucoup inspiré de cela pour écrire le scénario, en réutilisant même certains de mes propres échanges.
Quant à son choix de Julie Peyr pour co-écrire le scénario, Safy Nebbou confie l’avoir choisie pour
ses qualités de scénariste qui ont guidé mon choix. Particulièrement son travail avec Arnaud Desplechin (Jimmy P., Trois souvenirs de ma jeunesse et Les Fantômes d’Ismaël). Ce qui est amusant, c’est que Julie Peyr habite Los Angeles : nous avons donc travaillé à distance pendant plus d’un an au moyen de Skype et de WhatsApp. Nous étions déjà dans l’univers du film, d’une certaine façon !
Dans une sorte de mise en abîme, reflet de la situation de la protagoniste, le cinéaste Safy Nebbou propose une réflexion passionnante sur les relations humaines et actuelles via les réseaux sociaux, un mode de communication qui a totalement changé la donne. A l’instar de Claire Milaud, professeure de littérature française à l’université qui décortique Les liaisons dangereuses à ses élèves alors que les messages qu’elle reçoit sur son portable toujours allumé en plein cours la distraient, la portée du film prend toute son ampleur :
C’est là que se situent les liaisons dangereuses : L’expression de « liaisons dangereuses » est bien choisie puisque Claire est professeur de littérature comparée à l’université. Comment ne pas penser au texte de Laclos lorsque l’on décortique les jeux de pouvoir et de manipulation qui sont de mise aujourd’hui sur les réseaux sociaux.
Peut-être que le film de Safy Nebbou a-t-il mis mal à l’aise certains spectateurs car il pointe justement là où le bât blesse : la facilité de tromper ses interlocuteurs via une image magnifiée, de duper son monde pour un univers idyllique, parfait et sans déception. Un monde qui permet à une femme délaissée, mise à mal dans sa confiance en elle-même et en sa capacité à séduire encore, de croire qu’elle peut encore plaire, séduire, aimer et surtout être aimée.
Sous couvert du virtuel, il est aisé de s’inventer une nouvelle identité et une nouvelle vie : celle que l’on aimerait vivre… Les réseaux sociaux offrent d’infinies possibilités pour favoriser, entretenir et attiser de multiples formes de « liaisons dangereuses ». Il est probable que ces nouvelles technologies feront aussi émerger de nouvelles pathologies.
La narration mise en place par Safy Nebbou est très visuelle, multipliant les plans comme des tiroirs selon les facettes que la protagoniste souhaite afficher, comme des miroirs de la femme qu’elle veut montrer en fonction des écrans et des interlocuteurs. Le film assume totalement ce jeu de miroirs qui met en valeur tant l’écriture que la multiplicité des histoires dont la multiplicité des chutes devient déroutante. Samy Nebbou nous lance cette suggestion :
Il faut accepter ce parti pris pour entrer dans cette histoire. On est dans le symbole, le ludique et la métaphore.
Un aspect ludique qui ne peut perdurer quand les masques tombent. Comme le soulignait Juliette Binoche à Berlin, le virtuel offre une palette de possibilités et d’exutoires à la morosité de la vie tant qu’on en maîtrise les enjeux .
Le désir est un frondante antidépresseur et le fait que Claire se fabrique une identité sur Facebook fait que, d’un couop, elle peut planer dans les nimbes de l’amour et des possibles.
Bien que très grippé lors de sa venue, safy Nebbou a su nous parler avec enthousiasme de son film, un film à la fois envoûtant et déconcertant qui suscite moult questions introspectives.
Propos recueillis par Firouz-E. Pillet
© j:mag Tous droits réservés