Berlinale2018 – compétition jour #9: Twarz (MUG/Gueule)/ In den Gängen (In the Aisles/ Dans les allées)
Dernier jour de compétition ! Les deux jours précédents ont été très astreignants, c’est dire si on craignait ce 9e jour. Et comme souvent, c’est quand on ne s’y attend plus, ou le moins, que les petits miracles se produisent. Premier film, Twarz, de la réalisatrice polonaise Małgorzata Szumowska qu’on avait déjà pu apprécier en compétition en 2015 avec don film Body qui traitait déjà d’un sujet sérieux avec beaucoup d’humour. Bingo pour le second film, In der Gängen, un de nos préférés ! Et pour couronner le tout et finir en beauté cette section compétition/hors compétition, le film bulgare à l’esthétique époustouflante, Ága (hors compétition), qui se déroule dans l’extrême nord russe et dont parlerons ultérieurement.
Twarz
La scène pré-générique donne déjà le ton : écran noir avec en lettres capitales NOWHERE (MAINTENANTICI), puis un plan sur des gens aux visages gris et fermés semblant attendre tristement que quelque chose se passe, puis plan large où l’on voit qu’ils attendent devant un magasin au-dessus duquel il y a une banderole : « Actions de Noël ». Les portes s’ouvrent, les gens se précipitent, enlèvent leurs vêtements et commence une bataille acharnée entre les personnes pour s’approprier en priorité de larges écrans télé. Générique.
Cette scène est une allégorie de ce que s’il s’est passé après 1989 : la faim de consommation, d’accumuler des choses et avoir de la l’argent. L’arrivée de la démocratie avec dans son sillage le capitalisme.
explique la cinéaste polonaise.
Jacek aime le heavy metal et son chien nommé gipsy. Avec sa petite voiture rouge, il traverse à vive allure la campagne et traverse les villages, fenêtres ouvertes et musiques à fond, ce qui ne manque pas de choquer les villageois qui pour certains se signent à son passage, pour d’autres le traitent de satanistes. Lui et sa bonne amie n’ont que faire des conventions, il a les chevaux longs elle courts, elle dance sans retenue lui la rejoint sur la piste où ils font le show, ils crient depuis les hauteurs du village des insanités en direction des villageois… bref, ils se sentent libres et font fi du qu’en-dira-t-on. Elle travaille dans un kiosque et lui participe à la construction de la plus grande statue du Christ-Roi du monde. Il veut partir à l’étranger, au grand dam de son frère nationaliste et masculiniste – il ne supporte pas les cheveux longs de Jacek qui lui « donne l’air d’une folle » – et demande la main de Dagmara. Mais cette idylle prend subitement fin quand, sur le chantier, il est victime d’un accident qui va le défigurer. Son destin va prendre un tour radical lorsqu’il devient la première personne du pays à recevoir une transplantation de visage.
Quoi de plus aliénant que de perdre la face? Ne plus se reconnaître dans le miroir mais également devenir un étranger dans le regard de ceux que l’on aime. sans compter les réponses extérieures de cette anormalité qui font que les gens le regardent comme une sorte de monstre de cirque – le plus grand cirque étant bien entendu le cirque médiatique autour de sa personne – avec lequel on prend un égoportrait mais qu’on ne peut s’empêcher de trouver au mieux étrange, au pire effrayant. C’est d’ailleurs ce qui va amener sa mère, qui confie au prêtre du village son désespoir de ne pas reconnaître son fils et n’avoir que rejet pour lui, à organiser une séance d’exorcisme des plus hilarantes.
Cependant, la cinéaste ne filme pas ses protagonistes avec l’intention de les juger, elle leur porte une sorte de tendresse qui ne rend pas l’histoire manichéenne, elle montre simplement une réalité de la Pologne d’aujourd’hui, surtout dans ses campagnes, mais qui a cet aspect universel sur la question de la différence. Le film est ici un moyen de pointer les distorsions et dysfonctionnements à la fois des individus mais également de la société, de percevoir les mécanismes et dynamiques qui mettent en miroir les individus et le collectif auquel ils appartiennent.
Ce film enlevé, qui parle de choses sérieuses, ne prend pas le ton pontifiant des films des jours précédents aux cours de philosophie de café du commerce, mais choisit d’appréhender le sujet sur le ton de la comédie, noire certes, mais non dépourvue de légèreté grâce à cette distance que procure l’humour. Plusieurs sujets sont abordés dans Twarz, mais au fond ils reviennent tous à la question de l’altérité : la relation économique entre les gens, les relations familiales, la dynamique de celle qui s’inscrit dans le microcosme des villages, le regard des autres et de soi-même sur l’étrangeté, qui peut aussi simplement être l’étranger, ou celui qui n’appartient pas à la même communauté…
L’impression que ce film est maîtrisé et réussi de bout en bout tient également aux côtés techniques du film : le masque très réaliste (qui a été fabriqué en Angleterre) ainsi que le travail quotidien de 4 heures du maquilleur Waldemar Pokromski ; le scénario cohérent, ménageant des moments de tension et retournements, rythmé et sans longueurs ; la scénographique du paysage et la cinématographie qui se répondent parfaitement pour offrir une ambiance un peu surréelle et mystérieuse, une sorte de peur diffuse qui se cache dans le brouillard et plane sur cet endroit. Małgorzata Szumowska relève que :
L’avantage est que Michal (Englert,le caméraman, N.D.A.) est aussi coscénariste. Ainsi on a pu travailler très tôt sur la perspective et la façon dont on voulait tourner le film. On voulait créer un film qui ressemble à un conte de fée. On ne voulait pas paraître trop réalistes. La touche ironique fait partie de ce dispositif pour alléger le tout, et le paysage nous a permis de transporter cette idée en images.
De Małgorzata Szumowska; avec Mateusz Kościukiewicz, Agnieszka Podsiadlik, Małgorzata Gorol, Roman Gancarczyk, Dariusz Chojnacki, Robert Talarczyk; Pologne; 2018; 91 minutes.
In den Gängen
Le cinéma permet d’ouvrir les yeux sur des pays inconnus, des cultures différentes, d’autres perspectives et perceptions du monde. Avec cette contribution allemande à la compétition de cette année – un des meilleurs films présentés selon nous – cet aspect du 7e art s’est révélé riche en discussions après la projection de presse, avec un vif débat entre de nombreux journalistes étrangers et des journalistes allemands ou vivants en Allemagne, concernant un événement de l’histoire qui, pour les premiers, était inutile voire incompréhensible, et pour les seconds une parfaite métaphore de l’état psychique d’une partie de l’Allemagne de l’est après la réunification.
Christian est le petit nouveau du supermarché. Il découvre les coulisses de cet univers avec timidité et fascination: son organisation codifiée et hiérarchisée, les couloirs sans fin des réserves, les mécanismes fascinants des chariots élévateurs et tout le petit monde qui travaillent à agencer les rayons. Il est confié à Bruno, responsable du département des boissons, qui créé avec lui une relation de confiance quasi filiale. Il lui montre toutes les ficelles et astuces du métier et lui apprend à conduire ce fameux chariot élévateur pour lequel il faut un permis particulier. De l’autre côté des rayons boissons se trouve celui des friandises et sucreries rangé par Marion avec laquelle il boit un café de temps en temps à la pause. Il en tombe amoureux et elle ne semble pas indifférent « au nouveau » comme elle le surnomme affectueusement. Le problème: elle est mariée et semble avoir une vie assez malheureuse en dehors du travail. Tout l’entrepôt – les gens savent de tout de tous, même quand ils ne disent rien – encouragent Christian dans son entreprise de séduction. Mais après Noël, Marion ne vient plus au travail, elle s’est mise en congé maladie. Extrêmement déprimé de ne plus la voir, Christian va devoir lutter pour ne pas se retrouver dans les griffes de ses vieux démons.
L’idée de ce film vient de la très courte nouvelle (25 pages) de Clemens Meyer – ironie de la programmation, un autre film, Als wir träumten , adapté d’un de ses livres, avait été présenté la même année et le même jour que celui de Małgorzata Szumowska en 2015 – et Thomas Stuber, le réalisateur explique :
Dès que je l’ai lue je savais que je voulais en faire un film. L’histoire qu’il a est si profonde et tragique, elle contient en même temps une telle chaleur – j’espère que nous avons réussi à rendre cet aspect en images. Clemens concentre ses histoires, introduit beaucoup de non-dits et laisse au lecteur l’espace pour se poser des questions et de rassembler les morceaux.
Paradoxalement, ce parti pris est plus reposant que ces films (nous en avons abondamment dans cette édition 2018) qui confondent cours magistral et séance de cinéma, prennent les spectateurs (pour des idiots) en otage de leurs réflexions inversement profondes qu’elles s’étirent jusqu’au bout de la patience. Comme Twarz, mais sur un autre registre, l’humour joue un rôle à part entière :
Il permet de s’approcher des personnages. Je ne voulais que ce soit un film lourd et malgré les destins douloureux qui sont dépeints. Ici, c’est un humour que je définirais de nord-européen, comme on peut en voir dans le cinéma finlandais ou suédois. C’est un comique qui s’extrait d’une situation. Sans cet humour, peut-être que le film serait difficile à supporter.
In den Gängen est d’une délicatesse infinie, qui ouvre une fenêtre sensible et attentive sur les travailleurs ordinaires en Allemagne de l’est. La texture et la couleur du film est une collision d’images qui inspirent la chaleur de l’intérieur et la froideur dès que l’on sort du supermarché. La musique joue également un très beau rôle, le film n’étant pas bavard, allant de la musique classique au blues en passant par le rock allemand. S’il est bien connu et convenu que « le diable se cache dans les détails », ici force est de constater que la joliesse, également, se cache dans les détails que la caméra capture dans les regards, les attitudes, les petits gestes… les détails donc. Ce film offre dès son ouverture une chorégraphie de gens et d’objets, de réalités, de désirs et de rêves qui se déploient dans la photographie encadrée au cordeau. Encore un point comme avec Twarz, il tend vers le fil du conte de fée réaliste où le quotidien transformé transcende cette tendre histoire d’amour pour pointer timidement vers quelque chose qui s’appelle l’espoir.
De Thomas Stuber; avec Franz Rogowski, Sandra Hüller, Peter Kurth, Andreas Leupold, Michael Specht, Ramona Kunze-Libnow, Henning Peker; Allemagne; 2018; 125 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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