Cannes 2019 : « Roubaix, une lumière », le premier polar du réalisateur roubaisien Arnaud Desplechin est est en lice pour la Palme d’or du 72e festival de Cannes
Roubaix, une nuit de Noël. On se trouve dans le Nord de la France et l’atmosphère de la nuit noire fait ressentir le froid piquant. Le commissaire Yakoub Daoud (Roschdy Zem) sillonne les rues de la ville qui l’a vu grandir. Voitures brûlées, altercations, vandalisme, la routine pour lui … Sa famille est rentré au Maroc, il est désormais seul à Roubaix. Clin d’oeil malicieux du cinéaste : certains scènes ont été tournées dans une cour qui porte le nom de… Desplechin.
Au commissariat, vient d’arriver un Grenoblois, Louis Coterelle (Antoine Reinartz), fraîchement diplômé qui se réfugie dans les prières pour demander à Dieu de le soutenir dans ses missions ardues. Daoud et Coterelle vont faire face au meurtre d’une vieille dame âgée de quatre-vingt-deux ans, une épreuve à laquelle Louis n’était pas préparé. Deux jeunes femmes sont interrogées, Claude (Léa Seydoux) et Marie (Sara Forestier). Démunies, alcooliques, toxicomanes, amoureuses, du moins l’une, Marie, plus que l’autre, plus manipulatrice.
Avec Roubaix, une lumière, Arnaud Desplechin retourne à ses racines, dans son lieu de naissance pour raconter l’histoire d’un endroit, d’une ville autrefois bénie par une économie florissante et aujourd’hui misérable et dont la plupart des habitants sont dans la précarité et l’indigence. Du coup, tous les moyens sont légitimés par le besoin impérieux de vivre ou survivre.
Le film s’ouvre sur l’irruption d’un homme qui hurle qu’on a brûlé sa voiture … Il a même été brûlé au visage par trois hommes, en djellaba, qui brandissaient sur lui un chalumeau. Monsieur Dos Santos (Philippe Dusquene) veut déposer plainte. Le commissaire écoute sa première déposition, sa deuxième déposition, sa troisième déposition … Convaincu qu’il s’agit d’un cas de fraude et d’escroquerie, il le fait svoir à Dos Santos : « Pour l’instant, vous me semble quelqu’un de bien mais si vous poursuivez dans ce chemin, vous risquez gros : incarcération et une grosse amende. Vous avez tout à y perdre. »
Si le film est un retour sur sa terre d’origine au sens littéral du terme, c’est aussi un registre nouveau étonnant pour un cinéaste plus connu et apprécié pour ses drames comiques complexes, troublés et loquaces.
Dans ce film aux les influences des ses maitres à penser et à filmer – Truffaut et Bergman bien sûr mais aussi, Zola, Hugo ou Shakespeare, le cinéaste nordiste relate un fait divers inspiré par un vrai meurtre commis par deux jeunes femmes alcooliques et toxicomanes en 2002 et s’inspire librement de l’affaire Demesmaeker, survenue dans le quartier du Pile en 2002, où deux voisines paumées et toxicomanes, avait assassiné une retraitée de septante-trois ans: « la jolie petit fille qui a connu une enfance dorée et la petit fille moins minonne, esseulée, délaissée par les autres camarades d’école » comme leur fait remarquer le commissaire Daoud lors des auditions des deux jeunes femmes. Le commissaire Daoud mène l’enquête, avec une immense psychologie, cernant rapidement les coupables et les innocents, mais observant les personnes avec beaucoup de bienveillance et d’humanité durant leur garde-à-vue.
En plus de trente ans de carrière, Arnaud Desplechin, amoureux du cinéma d’auteur, a été nommé cinquante-six fois dans des festivals et a obtenu plusieurs prix dont le prix Louis-Delluc en 2004 pour Rois et Reine et l’Etoile d’Or du réalisateur pour Un conte de Noël en 2009. Ici, le conte de Noël est beaucoup plus noir, livrant un portrait tragique d’une humanité déclassée et oubliée des quartiers défavorisés.
Il ne s’agit pas de son premier film tourné dans sa ville natale. En effet, cinq de ses longs métrages ont été tournés à Roubaix, ville où le cinéaste a vécu et étudié jusque l’âge de dix-sept ans et surtout et à laquelle le réalisateur reste très attaché :
Jeune homme, j’ai eu besoin de fuir cette ville, de m’arracher à mes racines. J’ai intégré l’école de cinéma l’IDHEC à Paris et dès mon premier moyen métrage La vie des morts, j’ai souhaité revenir tourner ici comme pour livrer quelque chose qui vienne de mon passé, de ma vie, de moi. Je reste fasciné par cette ville, par les signes d’un passé industriel très prospère alors qu’aujourd’hui, la réalité n’est plus la même. Il y a comme un devoir, une fierté à résister et à revenir.
Mes deux héroïnes viennent d’un milieu socialement très dur, elles ont un destin tragique. Et pourtant une lumière scintille en elles.
Arnaud Desplechin est un cinéaste souvent jugé pour son intellectualisme mais dans Roubaix, une lumière, ce n’est pas le cas. Le film est accessible à tous et le commissaire, protagoniste principale du film, impressionne par son calme et sa patience, contrastant avec certaines scènes d’interrogatoire brutales tant en gestes qu’au ton de voix.
Cinéaste fidèle à ses acteurs, Arnaud Desplechin met en lumière Roshdy Zem, Antoine Reinartz, Léa Seydoux et Sara Forestier, actrices et acteurs qui permettent à Desplechin de rêvéler un monde en crise en rendant leur humanité, à l’instar du commissairee Daoud, aux coupables.
Le réalisateur précise :
Je n’ai pas de propos sociologiques ou même politiques. Mes deux héroïnes viennent d’un milieu socialement très dur, elles ont un destin tragique. Et pourtant une lumière scintille en elles. Quelque chose de l’ordre de l’amour qui transcende le poids de la réalité. Des soubresauts magnifiques.
Avant d’arriver sur la Croisette, le film a suscité l’indignation de la famille de la retraitée assassinée en 2002. Les entants de la victime ont tenté à plusieurs reprises de joindre le cinéaste afin d’ampêcher la sortie du film, sans succès.
Firouz E. Pillet, Cannes
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