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Cannes 2021 : Aya, de Simon Coulabaly-Gillard, présenté dans ACID, traite du drame des réfugiés écologiques à travers le portrait d’une adolescente résolument optimiste

La première séquence s’ouvre sur la mer, paisible, aux roulis réguliers qui invite à la quiétude et au voyage, puis la camera de Simon Coulabaly-Gillard suit une jeune fille qui porte une bassine en plastique et s’approche d’un navire, pris d’assaut par de nombreux enfants et par quelques adultes qui portent tous un récipient. Les enfants s’agrippent aux flancs du bateau alors que les adultes ramassent les poissons jetés par-dessus bord par les pêcheurs et tombés à l’eau. Toute en douceur, la caméra de Simon Coulabaly-Gillard nous présente Aya (Marie-Josée Kokora), ramenant le seau porté sur sa tête, chez elle auprès de sa mère (Patricia Egnabayou) qui s’occupe de son bébé.

— Marie-Josée Kokora – Aya
Image courtoisie ACID

Aya grandit avec sa mère sur l’île de Lahou, au large de la Côte d’Ivoire. Joyeuse et insouciante, elle aime cueillir des noix de coco, s’en désaltérer et dormir sur le sable. Toujours dans la mouture d’un documentaire, on assiste à la cordée d’hommes qui scandent ensemble afin de s’encourager pour sortir de la mer les filets pleins de poissons. Aya est responsable de son petit frère et doit procurer à manger au foyer mais demeure une adolescente avec des préoccupations liées à son âge ; la jeune fille prie plusieurs fois sa mère afin qu’elle mette un poisson dans leur nourriture mais la mère refuse catégoriquement : « On les vendra. ».
Par allusions progressives, on comprend que la mère de famille est veuve et peine à nourrir ses enfants.

Les premières séquences du film nous donne l’impression de regarder un documentaire alors que la caméra de Simon Coulibaly-Gillard suit Aya dans ses activités quotidiennes, dans les tâches domestiques auprès de sa mère ou s’occupant de son petit frère ou encore flânant avec son amoureux (Junior Asse). La situation économique très difficile de la famille ne fait nul doute : Aya demande plusieurs fois 500 francs CFA pour aller chez le coiffeur et taquine sa mère en lui disant qu’elle travaille toute la journée dur et sans être payée. Mais la mère de famille est inflexible. Les enfants, très jeunes, se déplacent en pirogues avec l’aisance de grands navigateurs. Un ancien réunit les villageois et leur parle de l’inquiétante réalité de l’Île de Lahou:

« Un cimetière de plus de deux cents ans qui était tellement éloigné qu’il fallait beaucoup marcher pour y aller est désormais tout proche la mer. La mer a toujours été notre alliée mais elle devient menaçante. J’ai peur qu’il y ait une fin à tout cela. Les vagues que vous voyez au loin, c’est là où nous vivions.»

Filmée de près, Aya est dans tous les plans : suivie de dos par la caméra de Simon Coulabaly-Gillard, puis révélant ses tenues aux couleurs bigarrées, s’approchant au plus près de son visage sculptural et de son sourire ravageur, la croquant tel un peintre ou un dessinateur alors qu’elle est allongée, lascive, sur la plage, échangeant une conversation un peu houleuse avec un adolescent de son âge. Le cinéaste nous donne l’impression que nous vivons aux côtés d’Aya, partageant son quotidien. Puis Simon Coulabaly-Gillard fixe en gros plan la berge dont des pans entiers de sable tombent à l’eau, laissant apparaître les racines des arbres. Un nouveau protagoniste apparaît dans le film : un protagoniste dont les villageois parlent de plus en plus et que le cinéaste commence à révéler par certaines prises de vue comme ces berges qui s’effondrent pour s’affaler dans la mer et y disparaître.

Aya de Simon Coulabaly-Gillard
Image courtoisie ACID

La nuit, alors que la lune hypnotique éclaire les rivages, Aya se lève et part, éclairée de sa lampe de poche et par les rayons de la lune, et surprend des hommes en train de creuser des tombes du cimetière bientôt englouti sous les eaux pour déplacer les sépultures des défunts. Déambulant comme dans un songe, dans un clair-obscur, Aya semble côtoyer le monde des vivants et celui des morts, hanté par les fantômes que les humains viennent déterrer pour sauver leur mémoire et, ainsi, la mémoire du village. La menace des changements écologiques se fait de plus en plus importante et bouleverse la vie de ces pêcheurs qui suivaient des us et coutumes, au rythme des saisons, depuis des siècles. Une ancienne conseille aux villageois de demander de l’équipement pour prévenir les inondations et ajoute :

« Le village est en train de disparaître. »

Le paradis d’Aya est voué à disparaître sous les eaux. Alors que les vagues menacent sa maison, Aya fait un choix : la mer peut bien monter, elle ne quittera pas son île. Un soir, le ciel gronde et se noircit, les rouleaux de la mer grandissent et se jettent sur la plage. Un crieur annonce, au nom eu chef du village : » Que personne ne se promène sueur sur la plage ! » Malgré la menace croissante de la mer qui avance et qui monte, Aya ne sait pas nager mais va l’apprendre avec son amoureux qui la porte sur son dos et lui fait pratiquer les mouvements de natation.

Plusieurs scènes montrent Aya rien compagnie du jeune homme, partant en pirogue dans la mangrove pour y échanger leur premier baiser pudique et délicat, cassant des noix de coco, assis sur des tombes et se désaltérant du lait de coco. La mère d’Aya espère que a fille accepte de partir et se désespère devant son obstination à rester au village. Elle va même jusqu’à lui préparer un plat de crabe, un met qu’Aya n’a jamais goûté et sa mère s’en amuse, lui expliquant comment casser les pinces pour en savourer la chair. Un rare moment de complicité entre Aya et sa mère, très autoritaire et peu encline à montrer son amour.

Simon Coulabaly-Gillard suit les villageoises à l’église entonnant des chants liturgiques, offrant toujours regard d’un documentariste. Au fil des scènes, la menace est de plus en plus tangible alors que lin observe des villageois démontant leurs cahutes pour les déplacer plus loin. Dans la quiétude et la routine quotidienne, l’annonce du départ de l’amoureux d’Aya pour Abidjan vient perturber son insouciance et remettre en question ses convictions : rester au village, partir pour le retrouver ?

Une très belle scène, après que l’amoureux d’Aya soit monté dans une embarcation pour aller à Abidjan, montre la jeune fille qui flotte sur le dos, se laissant bercer par les vagues : Aya sait nager, ne craint plus l’eau et la transmission est passée. Résignée face à la mer qui ne cesse de progresser sur les terres, la mère sollicite des hommes pour déterrer son défunt mari; une très belle scène, poétique et mystique, suit une barque qui emmène le cercueil du défunt, entouré d’Aya, de sa mère et de proches au son joyeux de musiciens qui jouent des instruments à vent.
Le retour se fait en silence.

Après trois courts métrages, Bokibana (2017), Yaar (2014) et Anima (2013), Simon Coulabaly-Gillard réussit avec brio le passage au long métrage avec ce magnifique portrait d’adolescente sur fond de menaces de changements climatiques et réfugiés contraints de fuir un environnement devenu hostile, voire dangereux. Peaufinant les prises de vue et apportant un soin particulier à la photographie, lumineuse et picturale, Simon Coulabaly-Gillard signe, certes, une fiction qui fait de nombreux clins d’œil au documentaire, plongeant les spectateurs à Lahou, aux côtés des pêcheurs, nous faisant sentir le sable chaud sur notre peau, le sel qui tire nos lèvres après la baignade et les roulis réguliers et entêtants de la mer.
Par une mise en scène judicieuse, Simon Coulabaly-Gillard parvient à nous faire suivre les pas d’Aya, mue par une imperturbable insouciance et une farouche obstination à refuser de voir le danger croissant, à se réjouir de ses éclats de rires qui dérident les traits sérieux de sa mère et ses taquineries qui sèment la bonne humeur autour d’elle. Bien qu’adolescente, Aya a gardé une part d’enfance très contagieuse et solaire qui égaie la vie du village que nous parcourant à ses côtés.

Le film Simon Coulabaly-Gillard nous livre la chronique d’une vie simple et heureuse d’un village de pêcheurs progressivement contraint à quitter leur terre ancestrale. Simon Coulabaly-Gillard brosse un splendide portrait d’une adolescente qui sait encore puiser dans sa part d’enfance et d’insouciance mais qui devra faire le sacrifice de cette facette de sa personnalité à l’instar du sacrifice des villageois qui s’arrachent de leurs racines et de leur coin de paradis.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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