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Mostra 2017: Human Flow – Ai Weiwei au service de la cause de 65 millions de personnes déplacées dans le monde

Le travail documentaire d’Ai Weiwei, la pièce géante qu’il avait promise et annoncée, vient d’être présentée à la 74ème Mostra de Venise : Human Flow, un documentaire sur les migrations à travers la planète aujourd’hui. En partant de l’hypothèse que 65 millions de personnes sont cataloguées comme des migrants (pour une raison ou une autre), l’artiste chinois essaie de rendre compte de la masse et de la quantité de ce peuple qui n’est pas considéré tel. En visitant plus de vingt-cinq pays, Ai Weiwei et sa troupe (il y a au moins onze réalisateurs de cinéma, y ​​compris Christopher Doyle) parcourent des camps de réfugiés, des bateaux à la dérive ou abandonnés en pleine mer avec des gens à bord, des gens, des masses de gilets de sauvetage empiles dans le Sud de  l’Italie, synonyme des naufrages morts en Méditerranée, des murs en guise de frontières, des bardeaux et de nouveaux camps avec une utilisation intensive du drone pour essayer de comprendre l’immensité de cette tragédie humaine à l’échelle mondiale, les tentes, les organisations à but non lucratif, et quelques interviews de personnes qui apportent de l’aide. A travers la lunette de lecture d’un artiste de classe mondiale qui a grandi enchaîné, en marge de tout, exilé et harcelé en tant que prisonnier politique avec sa famille dissidente.

Human Flow
© 2017 Human Flow UG

Il n’y a aucun doute sur le travail accompli et la grandeur du travail de recherches effectué en amont. Comme les documentaires réalisés par l’artiste chinois dans les années 1980, Human Flow est aussi un documentaire quantitatif, c’est-à-dire qu’il n’essaie pas d’enquêter sur des cas paradigmatiques ou paradoxaux, il ne veut pas aller étudier des histoires individuelles, exceptionnelles. Au contraire, il veut montrer les grandes masses migratoires, étonner avec les proportions réelles du phénomène mondial. Dans ce sens, sa durée (2 heures 20 minutes), a priori dissuasive, est nécessaire dans le but avoué d’emblée : rendre l’immensité du phénomène.

Le résultat est poignant, rappelant la gravité de tant de situations dramatiques désormais occultées par les médias et fustigées par nombre de partis de droite. Seul bémol à cet état des lieux exhaustif des situations actuelles : comme tout artiste, l’artiste chinois a une fâcheuse tendance à se poster devant la caméra – pour apporter du spectacle ou par égocentrisme – à ce documentaire consacré aux migrants et aux réfugiés. Pour exemple, alors qu’une réfugiée kurde de Turquie témoigne de dos, relatant son exode et comment elle a perdu plusieurs de ses proches, elle éclate en sanglots ; Ai Weiwei s’assied face à elle, laissant tourner la camera pour que les spectateurs le voient la questionner : « Je peux vous aider ? Faire quelque chose ? » Ce manque de pudeur s’apparente à un manque de respect pour toute la souffrance, les traumatismes et les pertes que ces réfugies ont accepté de nous confier.  On aurait souhaité que le documentariste sache arrêter sa caméra face à tant de souffrances, par respect tout simplement.
Ce qui semble le plus important pour l’artiste et activiste contemporain chinois, c’est le rôle qu’Ai Weiwei décide de se réserver pour lui-même. L’auteur du documentaire est présent dans plusieurs scènes, est souvent sur le terrain et presque jamais pour une raison réelle. Il n’est pas un interviewé qui défie des interlocuteurs comme Michael Moore, n’apparaît pas quand il est vraiment nécessaire à l’instar de Werner Herzog, son visage connu et sa présence s’affichent dans des scènes sans aucune utilité. Ai Weiwei qui se coupe les cheveux dans un camp de réfugiés, qui plaisante avec des migrants, qui marche, reprend et devient auto-aimable avec un signe indiquant “Ai Weiwei #withTheMigrants”, troquant son passeport allemand avec celui d’un réfugié kurde.
De cette façon, Human Flow n’a pas seulement un sens, mais reste un documentaire éducatif, illustre les masses, cite en exergue de certaines images des titres de grands médias, explique les chiffres, montre les proportions du phénomène et de sa dislocation (où vivent la plupart des migrants?), bon pour une éducation élémentaire moyenne (parce qu’il choisit de ne pas approfondir).

Human Flow
© 2017 Human Flow UG

Ce voyage d’espoirs brisés traverse vingt-trois pays à travers le monde, de l’Afghanistan à la côte sicilienne jusqu’à la frontière entre le Mexique et les États-Unis: “Le plus difficile était de rencontrer ces personnes et de les quitter”. Suivant les méandres de ce flux humain d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont fui leur maison avec quelques effets dans des sacs en plastique, des sacs à dos, des sacs à provisions, des migrants dans les couvertures isothermes reconnaissables à leur aspect d’aluminium, dans les manteaux de fortune,  logés dans des tentes alignées sur des terrains vagues telle la Jungle de Calais, les camps de réfugiés.
L’artiste chinois Ai Weiwei met son art et son activisme au service de la cause des réfugiés et se présente en compétition à la Mostra, ce qui lui permettra de réveiller l’indifférence généralisé du monde a cette tragédie qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Mettant son art au service d’une cause, à travers des images qui mêlent la beauté et la violence, Ai Weiwei signe une œuvre qui mériterait d’être projetée dans les écoles afin que les citoyens de demain soient conscientisés et tournent le dos aux mouvances actuelles qui sévissent de de nombreux pays européens. Destiné au public le plus large possible pour trouver des solutions et pour ne pas abandonner les plus de 65 millions de personnes (données du HCR) qui ont dû quitter leurs foyers dans le monde pour échapper à la famine, aux changements climatiques, aux guerres.

Human Flow sortira au cinéma à la Journée nationale de la mémoire et de l’accueil, le 3 octobre.

Firouz E. Pillet de la Mostra 2017, Lido

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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