Sortie en Suisse romande : Delphine et Carole, insoumuses – Le portrait passionnant de deux femmes de cinéma, d’une époque, d’un engagement !
Paris, années septante. L’une est actrice internationale, l’autre est réalisatrice vidéaste ; les deux sont franco-suisses et engagée dans le mouvement féministe. Le fruit de leur rencontre va être une production de films vidéo méconnue du grand public, phénomène d’autant plus surprenant que la qualité et la créativité issues de leur démarche sont renversantes !
Le film documentaire qui esquisse le double portrait de Delphine Seyrig et de Carole Roussopoulos s’ouvre sur une scène sidérante : dans une émission de Bernard Pivot, un grand critique gastronomique, Christian Guy, explique avec emphase pourquoi les femmes n’ont jamais été, ne peuvent et ne pourront jamais être de grandes cheffes de cuisine ni critiques gastronomiques. Cependant, lors de cette diatribe, des incises se font dans les images à travers des cartons sur lesquels sont écrits des commentaires ; on s’aperçoit alors que cette archive n’est pas celle de l’émission mais du film Maso et Miso vont en bateau coréalisé par Nadja Ringart, Carole Roussopoulos, Delephine Seyrig et Ioana Wieder du collectif Les Insoumuses. Le ton est donné : humour, irrévérence et inventivité sont les lignes de force de leur collaboration cinématographique et militante.
Carole Roussopoulos a très tôt cette intuition que la vidéo est le média qui permet à celles et ceux qui n’ont pas accès aux canaux dominants de communication de s’approprier l’image pour se raconter : la caméra, petite et mobile ne fait pas peur aux protagonistes, le matériel nécessite peut de moyens et permet d’être son propre maître dans toutes les étapes de production. Le média entre en parfaite adéquation avec le discours de Delphine Seyrig sur l’appropriation et la diffusion de la parole des femmes qui est systématiquement occultée par celle des hommes qui ne se contentent pas de monopoliser l’espace d’expression public mais phagocytent toute représentation du féminin et du masculin dans la société. À cet égard, Delphine et Carole, insoumuses propose une longue séquence qui reprend des scènes du passionnant Sois belle et tais-toi, réalisé par Seyrig avec à la caméra Roussopoulos, film-plongée dans le cinéma et le rôle – dans le sens littéral – que les femmes et les actrices y jouent, à travers les entretiens que Delphine Seyrig a effectués avec vingt-quatre actrices à Hollywood et en France.
Callisto Mc Nulty, petite-fille de Carole Roussopoulos, offre ici un regard à la fois très pointu sur une période de la lutte féministe, très tendre sur deux femmes engagées et volontaires, sans être anachronique. Hélas serait-on tenter de souffler. Car si on tamise le discours et met de côté les avancées sociétales et matérielles de la condition des femmes, on ne peut s’empêcher d’entendre un écho dans la parole de Seyrig et Roussopoulos, une modernité qui se fracasse sur certains sujets qui reviennent sur le devant de la scène dans un monde qui semble en régression. Dans cette sensation de contemporanéité s’inscrit la vision que portent ces actrices et réalisatrices (on croise dans le film les regards de Chantal Akerman, Marguerite Duras et Liliane de Kermadec) sur leur métier, les diktats esthétiques qui y règnent, la difficulté de s’en émanciper, de proposer un autre angle, donner une autre perspective au monde et aux choses. Pas besoin de se tourner vers les problèmes de quotas dans les festivals, dans les officines de subvention, dans les recoins sombres des productions et des affres #metoo, il suffit, pour celles et ceux qui en douteraient, d’aller voir le film « male gaze » sélectionné en compétition ( !) au récent Festival de Cannes Mektoub My Love : Intermezzo d’Abdellatif Kechiche !
Le documentaire est extrêmement bien écrit – et monté – avec de parfaites mises en miroir des interviews de Carole Roussopoulos faites en 2003 et à la fin de sa vie en 2007-2008, des archives vidéo qui protocolent les différentes luttes (avortement, droits des travailleuses du sexe, droits des hommosexuel.le.s, grèves d’ouvrières, etc.), des extraits de la filmographie d’actrice de Delphine Seyrig. Un vrai travail d’horlogère qui, une fois n’est pas coutume avec cette mode des films à rallonge qui n’en finissent pas de finir, nous fait regretter l’apparition du générique de fin.
Delphine et Carole, insoumuses a fait sa première à la Berlinale 2019 dans la section Forum; le film a, depuis, remporté le Grand Prix du Jury au Festival du Film et Forum International sur les Droits Humains 2019 (FIFDH) à Genève, et le prix du public du Festival International de Films de Femmes de Créteil.
De Callisto Mc Nulty; France/Suisse; 2019; 70 minutes.
Malik Berkati
En salles à partir du 29 mai: Spoutnik (Genève), Cinéma Royal (Ste Croix), Ciné Casino Ciné Club (Le Locle), Cinéma Minimum (Neuchâtel) et au Zinéma (Lausanne)
Le film sera montré en présence de la réalisatrice Callisto Mc Nulty dans différentes villes en Suisse romande:
5 juin, 20h30 au Spoutnik, Genève
7 juin, 20h00 au Cinéma City Club, Pully
8 juin, 18h00 au Cinéma Royal, Ste Croix
9 juin, 18h30 au Cinéma Rex , Vevey
11 juin à 20h15 à l’ABC, La Chaux–de-Fonds
12 juin, 18h00 au Cinésion Lux, Sion
13 juin, à 20h15 au Cinéma Bio, Carouge
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