Ta peau si lisse, documentaire de Denis Côté
Ta peau si lisse, de Denis Côté, coproduction entre le Canada, la Suisse et la France, a été présentée ce jeudi 2 août au 70ème Festival du film à Locarno en compétition internationale. Ce documentaire sur le bodybuilding questionne sur la suprématie de l’image de soi, de la représentation du corps dans notre société et souligne notre rapport au corps, mis en valeur à travers les réseaux sociaux telle une carte de visite. D’ailleurs, lors de la conférence de presse, Denis Côté a indiqué : “ Je me suis intéressé à la problématique du culturisme. Je souhaitais comprendre ce qui amènent des personnes à suivre une telle discipline, une diète astreignante, à prendre des produits et à s’exercer déjà tôt le matin pour développer ainsi leur musculature. Avant de les rencontrer, je suis allé scruter leur page Facebook et j’ai vu toutes photographies qu’ils postaient.”
La caméra du cinéaste suit Jean-François, Ronald Yang (présent à Locarno), Alexis, Cédric, Benoit and Maxim qui sont de véritables gladiateurs modernes. Au fil du film, les spectateurs découvrent un thérapeute excentrique, un modèle pour un photographe, un colosse qui fait des performances en traquant un camion, un culturiste professionnel ou un vétéran; tous ont la même obsession. Ronald intervient pour préciser :”Cela peut apparaître une obsession mais c’est une passion. Et, comme toute passion, cela accapare notre quotidien. Tout y est consacré. Mais il faut avoir en tête que toutes les personnes qui pratiquent le culturisme ont toutes un passé douloureux : certaines vivaient dans la rue, d’autres étaient au chômage, d’autres étaient en surpoids et par conséquent les souffre-douleur de leurs camarades à l’école. Le culturisme leur a permis de trouver une voie dans la vie, de devenir quelqu’un alors qu’ils n’étaient rien. En ce qui me concerne, je vivais dans la rue et j’étais un adolescent obèse. Grâce au culturisme, j’ai rencontré ma femme, j’ai un enfant et un travail; nous vivons dans une maison.”
Au début du film, la caméra de Denis Côté les suit, sans commentaire, s’entraînant dans l’attente de leur prochaine compétition :”Si, au début, ces bodybuildeurs font rire par leur obsession, à mesure que le film avance, on découvre qu’ils ont une vie privée, un emploi comme tout le monde et, peu à peu, on s’attache à eux et on a envie de les connaître. En faisant ce film sur les culturistes, j’ai réalisé que dans chacun de mes films il y avait une personne malade : un diabétique, une dépressive, une femme qui vend un rein pour survivre. Il y a quelques années, on m’a diagnostiqué une maladie rénale qui aboutira certainement à une transplantation. Peut-être qu’inconsciemment, cette dimension fait partie de mes films et c’est pour cela que je me suis intéressé aux culturistes qui peuvent apparaître malades au regard de certains.”
Le thème n’est pas nouveau et a même été souvent traité depuis les années quatre-vingt. Ce qui semble novateur dans le documentaire de Denis Côté, c’est sans doute sa façon de filmer ces bodybuildeurs au quotidien, dans leur recherche du corps parfait et des sacrifices que cela implique.
Ta peau si lisse, présenté dans le cadre du concours international, permet à Denis Côté de revenir fouler les pavés de la Piazza Grande. En effet, le cinéaste connaît bien le Festival de Locarno. Rappelons que l’ex-journaliste et critique de cinéma a réalisé une quinzaine de courts métrages présentés dans de nombreux festivals internationaux. Son premier long métrage, Les États nordiques (2005), a remporté le Pardo d’oro de la Compétition vidéo à Locarno. Puis, Nos vies privées en 2007, Elle veut le chaos, lauréat du Pardo per la migliore regia (Prix de la meilleure réalisation) en 2008, tout comme Curling en 2010. Carcasses (2009) a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes tandis que Vic + Flo ont vu un ours a obtenu un Ours d’argent en 2013 à la Berlinale où Boris sans Béatrice a également été présenté en compétition en 2016.
Cet ensemble insolite, basé à Montréal, se révèle progressivement sous nos yeux, suscitant interrogations, fascination et curiosité.
Chacune des six vies est examinée individuellement. Le cinéaste poursuit : “Après les avoir rencontrés, j’ai choisi de les suivre dans leur vie quotidienne, sans commentaire, car l’expression ne passe pas forcément par les mots. Ici, le corps devient langage.” La caméra commence sur le plus grand des culturistes, détaillant son régime avec précision, s’émerveillant de sa longue barbe noire et travaillée, sur ses muscles monstrueusement développés et bulbeux. On s’amuse à observer Ronald suspendre son téléphone portable au plafond de son garage pour se prendre en photo. Denis Côté précise à propos de cette scène : “Je me suis inspiré d’anecdotes; tout est vrai mais mis en scène.” Dans ce film,les spectateurs perçoivent que le physique, poussé à l’ extrême, devient source de vanité mais pansent aussi les blessures d’un passé douloureux.
A la fin du film, le cinéaste réunit ces culturistes dans une retraite dans les bois. Denis Côté souligne : “Je voulais créer une sorte de laboratoire et les voir évoluer à travers une rencontre douce: Je leur ai demandé de se préparer pour tourner certaines séquences et de mettre de l’huile sur leur corps. Cela m’a beaucoup amusé car je trouvais qu’il y avait quelque chose d’homo-érotique mais pour eux, c’était tout à fait normal puisqu’ils le font pour chaque compétition.”
Si le thème n’est pas nouveau, le film de Denis Côté apporte une dimension humaine attachante à travers les portraits de ces hommes sympathiques et vulnérables avec une attention qui subordonne la moquerie à la faveur d’une fascination sincère.
Firouz E. Pillet, Locarno
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