Berlinale 2017 – compétition jour #8: On the Beach at Night Alone (Bamui haebyun-eoseo honja) / Joaquim
Nous approchons de la fin du festival, il reste quatre films en compétition et un hors compétition. La moisson d’aujourd’hui n’est pas inintéressante même si, malheureusement, programmer ces films à ce moment du festival nuit à une critique équilibrée : les festivaliers sont fatigués – pour certains épuisés, très prosaïquement de nombreux journalistes s’endorment pendant les projections ou n’ont plus la patience pour les films lents et/ou longs, et de nombreux critiques sont déjà repartis.
On the Beach at Night Alone (Bamui haebyun-eoseo honja)
Le film se déroule en deux parties, la première en Allemagne, à Hambourg, la deuxième en Corée du sud, à Gangneung. Le célèbre réalisateur coréen Hong Sangsoo, primé dans de nombreux festivals dont un Léopard d’or à Locarno en 2015 pour Right Now, Wrong Then, nous entraîne dans une catharsis autobiographique qui fait écho au scandale qui a fait la Une en Corée lorsque la femme du cinéaste a révélé la relation extraconjugale de son mari avec l’actrice Kim Minhee (The Handmaiden de Park Chan-wook, ridiculement renommé en français Mademoiselle…). Et une relation extraconjugale dévoilée, ce n’est pas une mince affaire en Corée où les apparences doivent toujours être sauvées. D’ailleurs, dans le film, il est beaucoup question des apparences. « Aujourd’hui plus que jamais, les gens sont préoccupés par l’apparence. Les gens ont de la peine à surmonter cette obsession qui traverse toute la société », souligne le réalisateur.
Plutôt qu’une histoire linéaire – qui tient en quelques mots, ce dont il s’agit ici, c’est d’une atmosphère, d’un état d’esprit dont le naturalisme poétique est le vecteur. Hong Sangsoo explique que sa façon de travailler « c’est d’aller voir les acteurs, leur montrer les lieux de tournage et essayer d’accommoder les choses par rapport à la personnalité des acteurs ; depuis 2015 je donne plus d’espace à mes acteurs, je suis très ouvert à ce qu’ils peuvent apporter et donc à l’improvisation. » Ces parties improvisées ou changées en cours de tournage par rapport au scénario original donnent cette impression de banalité mâtinée d’expérience universelle où les choses de la vie vont et viennent dans le ressac de l’âme depuis la nuit des temps sans que jamais personne n’ait pu donner une réponse définitive au questionnement ultime qui anime l’être humain : quelle est cette force qui anime – et souvent contrôle – nos cœurs et nos âmes et s’appelle l’amour ?
La jeune actrice Younghee part en Allemagne voir une des ses vieilles amies pour s’éloigner d’un homme marié avec lequel elle a une liaison. Elle se promène avec son amie et parle de la vie. Elle aimerait bien rester ici mais une force plus forte qu’elle la ramène en Corée. Dans la ville de Gangneung où ses vieux amis semblent s’être réfugiés pour fuir la vie âpre et difficile de Séoul, elle décide de ne plus faire semblant, d’aller au fond des choses et de ses pensées même si cela doit blesser ses compagnons de tablée. Car oui, comme dans de nombreuses cultures, c’est autour de la table que les masques finissent par le mieux tomber, et entre deux verres, quelques vérités par se révéler. D’ailleurs, tout le long du film Younghee a faim. Il y a fort à parier qu’elle à faim de vie après sa nuit sur la plage…
De Hong Sangsoo ; avec Kim Minhee, Seo Younghwa, Jung Jaeyoung, Moon Sungkeun, Kwon Haehyo, Song Seonmi, Ahn Jaehong, Park Yeaju ; République de Corée ; 2017 ; 101 minutes.
Joaquim
Le Brésil au 18è siècle est une colonie portugaise dont les richesses sont pillées par les colons et la couronne. La corruption règne en maître ainsi que l’esclavage. Joaquim est sous-lieutenant dans l’armée coloniale chargée d’arrêter les contrebandiers d’or. Au contraire de certains de ses camarades, Joaquim (habité avec ardeur par Julio Machado, candidat sérieux à un prix d’interprétation) n’est pas né dans une famille aisée et se retrouve bloqué dans son avancement. Pourtant il aurait besoin de passer lieutenant pour gagner plus d’argent, pouvoir racheter sa maîtresse, une esclave noire, et l’affranchir. Puisque son avancement ne pointe vers aucun de ses horizons possibles, il va partir en mission, avec un officier portugais, un soldat, un esclave et un guide indien, dans la jungle où personne ne veut s’aventurer afin de trouver de nouvelles veines de prospérité pour le Gouverneur. Plus il s’enfonce dans la jungle, plus les doutes l’envahissent. Cette mission échoue mais, telle un voyage initiatique, elle a sur lui l’effet d’un révélateur : son pays est basé sur l’inégalité entre les habitants de son pays, les indigents et les nantis, les esclaves et les hommes libres, les sans voix et les puissants. Joaquim ouvre enfin les yeux sur les mécanismes de l’oppression coloniale et de classes.
La plus grande réussite du réalisateur Marcelo Gomes est d’avoir dépeint le mouvement qui a entraîné un simple sous-officier à être tête de file de la première insurrection anticoloniale, plutôt que de faire un biopic sur Joaquim José da Silva Xavier, dit Tiradentes. En effet, le récit du film se compose d’un mélange d’épisodes qui ont réellement jalonnés la vie de Joaquim et de parties parfaitement fictives qui ont pour but de détricoter le mythe du héros salvateur. La première scène, plan magnifique d’une tête coupée et posée devant une église commence à raconter son histoire, nous propose de reprendre les choses à leurs débuts, quelques années auparavant. La dernière scène quant à elle, dans un cut abrupte nous laisse au moment où Joaquim est ce qu’il devait devenir pour la postérité, Gomes nous épargnant avec cette intelligente ellipse les suites d’une biographie qui n’a pas d’intérêt intrinsèque.
Tout « récit national » a besoin d’un héros, si possible martyr. Joaquim est celui du Brésil indépendant, mais comme le souligne Gomes, « personne ne demande à devenir un héros ou un mythe. Ce sont les circonstances qui font que quelqu’un devienne une figure historique. Au Brésil, l’image que l’on donne de lui est christique. Ici, nous avons voulu déconstruire ce mythe en commençant par lui couper les cheveux et lui rendre une apparence d’homme normal. » Le travail de mise en relief de la structure coloniale fait désagréablement écho à la représentation que l’on se fait du pays aujourd’hui, ce que le réalisateur confirme : « la richesse est toujours concentrée dans quelques mains, la corruption est omniprésente, il n’y a toujours pas d’égalité et d’équité au sein de la société. »
Ce film dévoile une belle cinématographie absolument pas esthétisante. Au contraire, rien ne nous est épargné de la saleté, des bouches noires de dents non soignées, etc. Marcelo Gomes explique sa démarche : « Filmer ce que je connais ne m’intéresse pas, ce qui m’intéresse c’est de montrer comment Joaquim a pu changer de paradigme. Pour ce faire, j’ai effectué d’innombrables recherches sur le quotidien de l’époque, comment ils se nourrissaient, s’habillaient, se soignaient, etc. Puis je me suis demandé quel pouvait être le catalyseur de ce changement et pour moi, la seule façon de changer radicalement était de tomber amoureux de quelqu’un qui est marginalisé dans la culture dominante et de se nourrir de cette différence ». Cette approche, très juste dans son intention, piège malheureusement le cinéaste dans une séquence extrêmement longue et ennuyeuse dans la jungle où Joaquim et ses comparses ne cessent de remuer des cailloux pour trouver le filon, ce qui gâche de manière assez soutenue le rendu général du film.
De Marcelo Gomes ; avec Julio Machado, Isabėl Zuaa, Ròmulo Braga, Welket Bungué, Nuno Lopes, Diego Dória, Eduardo Moreira, Karay Rya Pua ; Brésil, Portugal ; 2017 ; 97 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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