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Berlinale 2019 – Compétition jour #4 : God Exists, Her Name is Petrunya (Gospod postoi, imeto i’ e Petrunija) – une comète cinématographique venue de Macédoine!

Il aura donc fallu attendre ce dimanche matin 9 heures pour enfin découvrir un film pouvant appâter sérieusement un Ours!

— Zorica Nusheva – Gospod postoi, imeto i’ e Petrunija (God Exists, Her Name Is Petrunya)
© sistersandbrothermitevski

Ce petit bijou de cinéma nous vient de Macédoine et d’une famille très engagée sur ce film puisque chez les Mitevski, nous avons dans la fratrie Teona Strugar qui est la réalisatrice et co-scénariste (avec Elma Tataragic), puis Labina qui est actrice et productrice et Vuk, le directeur artistique! Mais ce qui tient avant tout ce film, c’est l’actrice époustouflante Zorica Nusheva, qui joue Petrunay de manière résolue mais tout en modulations, et cette histoire inimaginable, tellement sensationnelle dans tous les sens du terme, que bien évidemment elle ne pouvait être totalement inventée.

A Stip, petite ville de Macédoine, tous les ans au mois de Janvier, le prêtre de la paroisse lance une croix de bois dans la rivière et des centaines d’hommes plongent pour l’attraper. Bonheur et prospérité sont assurés pour l’année à celui qui y parvient. Ce jour-là, Petrunya se jette à l’eau sur un coup de tête et s’empare de la croix avant tout le monde. Ses concurrents sont furieux qu’une femme ait osé participer à ce rituel. La guerre est déclarée mais Petrunya tient bon : elle a gagné cette croix et elle ne la rendra pas.

— Stefan Vujisic, Zorica Nusheva – Gospod postoi, imeto i’ e Petrunija (God Exists, Her Name Is Petrunya)
© sistersandbrothermitevski

Petrunya, c’est une femme de 32 ans diplômée de l’université en histoire que tout le monde traite en petite fille car elle n’a pas de travail et n’est pas mariée. Elle est constamment abreuvée de conseils, à commencer par sa mère, s’agissant de comment s’habiller, de ne pas donner son vrai âge pour un entretien d’embauche, etc., sans compter les insultes plus ou moins directes sur son physique. Mais cette femme a du caractère, semble très en colère et surtout est faite d’un bloc de droiture qui fait qu’elle ne dévie pas d’un pouce dans sa conduite et ne se laisse pas marcher sur les pieds. C’est donc tout naturellement que lorsque la population, l’Église et la police vont la harceler pour qu’elle rende cette croix prétendument acquise de manière indue, puisque ce n’est pas la tradition, elle va résister au nom de son bon droit.

Le film est une totale réussite: le choix de l’actrice principale mais aussi des autres protagonistes qui, mis à part peut-être les jeunes nervis, ne surjouent jamais ; l’écriture du scénario qui justement donne du relief, des aspérités et des nuances aux personnages, avec peut-être en exergue le rôle de la femme journaliste qui prend de l’épaisseur au cours du film, passant de la femme carriériste qui sent le bon coup qui pourrait booster sa visibilité à la femme indignée qui s’engage sincèrement, malgré ce qu’elle a à y perdre dans sa vie privée et professionnelle, pour que ce sujet prenne une dimension politique sous forme d’une opposition à l’establishment et une lutte contre les discriminations ; le traitement d’un sujet grave sur un ton mordant, ironique et surtout jamais moralisateur ; une cinématographie virtuose, avec des cadres classiques de cinémas est-européens qui met deux personnages en perspective d’écrans, que ce soit une porte ouverte, une paroi, un mur, un miroir, sans compter les jeux de focales, d’angles et de profondeurs de champ.

À l’heure des réseaux sociaux, bien sûr, l’exploit de Petrunya fait le buzz et devient viral sur internet. Difficile donc pour les autorités, de l’église comme de la force publique, de dire qu’elle a volé la croix. Que faire donc pour que l’ordre des choses dérangé par cette jeune femme reprenne sa place ? En réalité, personne ne sait trop quoi faire, ni sa mère, ni le prêtre responsable ni le capitaine de police. Petrunya, c’est le grain de sable qui vient faire dérailler la machine des traditions ancestrales et les institutions, mais qui fait également dérailler les gens. Ce blasphème perpétré est celui d’avoir brisé les règles. Ce terme, les règles, maintes fois cités mais auquel personne ne peut donner un vrai sens et qui finit par simplement produire une confusion : la règle n’étant pas la loi. D’ailleurs quand la journaliste demande au prêtre quelle règle Petrunya a brisé, sa seule réponse est : « c’est une femme ! »

Gospod postoi, imeto i’ e Petrunija (God Exists, Her Name Is Petrunya) de Teona Strugar Mitevska
© sistersandbrothermitevski

La co-scénariste Elma Tataragic explique la genèse du film:

Cette idée de cette femme qui en 2014 a sauté dans l’eau à la procession de l’épiphanie orthodoxe et récupéré la croix, une femme qui plus est tout à fait ordinaire, et qui suite aux sollicitations de l’Église n’a pas voulu rendre la croix car elle ne voyait pas pourquoi elle devait rendre quelque chose gagné tout simplement car elle était meilleure nageuse que les hommes, cette idée était très cinématographie et nous a lancé sur cette idée que le monde est cruel, cruel envers les femmes, mais bien entendu envers les hommes aussi qui doivent jouer le rôle que la société attend d’eux. Si une femme s’immisce dans le monde des hommes, qui en réalité est le même monde, les problèmes commencent

La réalisatrice enchaîne :

C’est donc basé sur cette histoire, mais ce qu’il s’est passé ensuite est né de notre imagination. Nous voulions montrer un individu face à l’État et à l’Église, le combat contre les institutions. Car lorsque cet événement s’est passé, on pensait que cela allait susciter un débat public. Mais non! Cela a été traité comme un fait divers et cela nous a révolté-e-s. Nous nous sommes dit qu’il fallait donc que nous lancions le débat. Sinon pourquoi faire du cinéma si ce n’est pas pour poser des questions et entrer dans le débat public?

Même si ce film est sur le ton de la comédie, c’est un vrai drame que l’on voit se dérouler sous nos yeux, car il fait écho à nos réalités  – et nul besoin d’aller en Europe de l’est pour constater cette régression aux niveaux politiques mais surtout sociétaux : l’État de droit mis au service d’institutions comme l’Église (mais cela pourrait tout à fait en être une autre), cet ancrage dans ce qui est considéré comme immuable alors que par ailleurs tout le monde vit dans un présent hyper connecté, cette pulsion incontrôlée de vouloir défendre des règles dont on ne connaît pas le sens, cette impression par les jeunes hommes de se sentir en danger dans leur masculinité dans une société où les femmes auraient les mêmes droits et prérogatives. Et surtout, cette violence qui peut se déchaîner, en une fraction de seconde, lorsqu’un groupe entre dans une dynamique d’émeute. Tout ceci est si réel que sous le sourire que nous offre le film pointe cette sourde menace dont nous sommes témoins tous les jours, du moins sur nos écrans d’informations.

Une fois le générique passé néanmoins, une sorte de légèreté s’empare du spectateur : pour savoir pourquoi, courez le voir dès que l’occasion se présente !

De Teona Strugar Mitevska; avec Zorica Nusheva, Labina Mitevska, Simeon Moni Damevski, Suad Begovski , Stefan Vujisic, Violeta Shapkovska; Macédoine, Belgique, Slovénie, France, Croatie; 2019; 100 minutes.

La « quote du jour » est également associée à ce film.

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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