Cannes 2018 : «Cold war», de Pawel Pawlikowski, chronique d’un amour tourmenté en pleine guerre froide
Pawel Pawlikowski, venu présenté ce jeudi soir Cold war (Zimna wojna) au public, accompagné de ses acteurs principaux – Joanna Kulig, Tomasz Kot, Jeanne Balibar – rend un émouvant hommage à ses parents auxquels le film est dédicacé.
Pendant la guerre froide, entre la Pologne stalinienne et le Paris bohème des années 1950, un musicien épris de liberté et une jeune chanteuse passionnée vivent un amour impossible dans une époque inhumaine.
En Pologne, à la fin des années 1940, alors que le froid et la neige règnent, un autre froid, plus sournois, s’installe : celui de la guerre froide. Un musicien et un producteur visitent des villages reculés avec leur matériel d’enregistrement, écoutant avec une attention toute particulière des chansons folkloriques, espérant recruter une troupe de jeunes gens talentueux et énergiques pour monter un spectacle de chansons et de danses traditionnelles polonaises authentiques. Ces jeunes seront logés dans une maison de campagne pendant un mois et formés pour se produire ensuite au sein d’une troupe, la Mazurka, dans des chorégraphies musicales polonaises pittoresques. Certaines jeunes filles sont auditionnées pour des rôles de premier plan, prêtes à être présentés lors de soirées théâtrales et peut-être même à des étrangers politiquement sympathiques à accueillir.
La séquence d’ouverture du film, un gros plan, en particulier sur les visages qui égrainent des chansons d’une voix éraillée, et sur les doigts agiles qui pianotent sur une sorte de cornemuse ou qui pincent les cordes d’un violon. Tourné en superbe monochrome, le dernier film du réalisateur polonais tourne autour d’une romance turbulente et tourbillonnante entre deux musiciens dans une Europe divisée de l’après-guerre. L’action débute dans un moment d’apparente innocence avec le beau et intense Wiktor (Tomasz Kot), pianiste de talent, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, en tournée avec sa collègue (et amante) Irena (Agata Kulesza) à la recherche de folklore et talent musical. Lors d’une audition, Zula (Joanna Kulig), une jeune fille blonde audacieuse et sûre d’elle-même, s’est faufilée dans un duo avec un chanteur plus purement talentueux. Irena la rejetterait, disant à Wiktor qu’elle était juste sortie de prison pour avoir assassiné son mari, mais Wiktor dit: “elle a quelque chose”. Immédiatement, il est clair que Zula est un leurre : elle vient de la ville, non des villages ethniquement purs que l’État polonais atavique préfère. Le responsable du parti superviseur, Kaczmarek, joué par Borys Szyc, est un raciste qui désapprouve les chants ethniques des Carpates en dialecte lemko.
Le numéro d’audition que leur donne Zula n’est pas une chanson folklorique polonaise, mais une chanson plagiée d’un film russe. Peu importe. Elle a cet aspect d’authenticité recherchée par le gouvernement, un aspect chérubinisé et soviétisé. Wiktor est de plus fasciné par le fait que Zula a fait de la prison pour avoir attaqué son père abusif avec un couteau.
Dans ce nouvel institut pour la création d’un art socialiste pur du peuple, Wiktor et Irena s’exécutent de manière créative, mais comme ils façonnent tout le talent qu’ils ont trouvé dans une troupe d’art folklorique en costumes nationaux traditionnels avec Zula comme star, l’administrateur Kaczmarek les oblige à créer aussi un hymne à Staline et la réforme agraire. Tradition «folklorique» qui combinera l’obéissance soviétique et la conformité ethnique, ce deuxième concept étant celui qui a survécu à la seconde guerre mondiale. C’est loin du vrai «demain» musical du jazz et du rock’n’roll occidentaux, que les autorités polonaises craignent et détestent.
Bientôt, Wiktor et Zula entament une liaison passionnée et Wiktor transforme Zula en star. Leur relation arrive à une crise quand ils se produisent à Berlin-Est où Wiktor propose à Zula de fuir vivre à l’Ouest; l’un d’entre eux va-t-il perdre son sang-froid? Cette histoire d’amour qui sert de fil conducteur au récit, ponctué de nombreuses scènes de spectacles lors des tournées de la troupe dans les pays « amis », connaît des rebondissements imprévus, des tourments, des ruptures pour encore mieux se retrouver, de manière étrange, dans les années 1950 à Paris, où leurs destins sont liés à une poétesse et un réalisateur français, incarnés élégamment par de Jeanne Balibar et Cédric Kahn.
Filmé en noir et blanc, technique qui confère aux spectateurs le sentiment de regarder un film d’époque, presque un documentaire quand il s’agit des auditions et des cours d’entraînement; les performances de leur ensemble musical sont stupéfiantes de prouesse et d’agilité – brillamment chorégraphiées par Pawlikowski et filmées par le directeur de la photographie Łukasz Żal.
Pawel Pawlikowski estime que son film Ida, couronné par un Oscar en 2015, figure sur «une liste noire» des œuvres «à ne pas soutenir» en Pologne et dans «les instituts culturels» polonais à l’étranger, selon des déclarations à l’AFP lors du Festival de Cannes.
Ida ne peut pas passer à la télévision publique parce qu’il est censé être anti-polonais. Avec le nouveau gouvernement, qui a totalement pris le contrôle de la principale chaîne publique, on revient à la période communiste.
C’est donc dans un tel contexte politico-culturel que le cinéaste polonais a présenté son nouveau film en compétition Cold War, ce jeudi soir. Rappelons que Pawel Pawlikowski a longtemps vécu à Oxford et à Paris avant de s’installer de nouveau à Varsovie à En 2003; The Guardian le classe 33e dans la liste des 40 meilleurs réalisateurs contemporains. Alors qu’il commence une thèse sur le poète autrichien Georg Trakl, il s’intéresse au cinéma. Il intègre le service documentaire de la BBC pour lequel il réalise des documentaires sur les pays de l’Est. En ce sens, son nouveau film semble puiser, en filigranes, dans la propre histoire du cinéaste.
Le gouvernement polonais et la chaîne publique vont-ils aussi adopter de telles mesures à l’égard de ce nouveau film qui présente un chapitre, certes douloureux mais irrémédiablement inscrit dans l’histoire du pays ?
Firouz E. Pillet, Cannes
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