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Cannes 2021 : Rencontre avec Flore Vasseur, réalisatrice de Bigger Than Us, et Mary Finn, activiste irlandaise

Fraîchement diplômée d’une grande école de commerce, Flore Vasseur vit à New York et crée son cabinet d’études marketing. C’est dans cette ville qu’elle y vit l’éclatement de la bulle internet et le 11 Septembre, événements qui bouleversent son mode de pensée et sa trajectoire de vie, comme elle le raconte dans son 1er roman intitulé Une fille dans la ville. Auteure, réalisatrice de documentaires, elle a créé sa propre société de production, Big Mother Productions, qu’elle décrit comme « son outil pour créer et produire du contenu à impact sociétal fort » À travers ses livres et ses films, Flore questionne et remet en cause le système économique, politique et technologique dans lequel on vit.

— Bigger Than Us de Flore Vasseur
© Jour2Fête

Présente à Cannes, au lendemain de la projection de son dernier documentaire, Bigger Than Us, Flore  Vasseur est venue parler de son expérience auprès de jeunes activistes à travers la planète. Elle était accompagnée par Mary Finn, jeune activiste irlandaise âgée de vingt-deux ans, qui est s’est rendue sur l’île grecque de Lesbos en 2016 et s’est rapidement retrouvée à sauver des migrants de la mer. Mary Finn a aussi travailler dans un camp en Grèce continentale et sur un navire de sauvetage entre les côtes d’Afrique du nord et de l’Italie. En cette matinée ensoleillée, sur la Terrasse des Journalistes du Palais des Festivaisl, Flore Vasseur et Mary Finn nous ont parlé de leurs expériences.

Flore Vasseur, quelle a été votre méthodologie pour ce documentaire ?

Tout au long de mon travail, je m’efforce de comprendre les principales tendances sociétales, culturelles et économiques, de diffuser des idées qui comptent et de mettre les acteurs du changement sous les projecteurs, grâce au pouvoir des récits. Je fonctionne de la sorte dans les livres, fiction narrative, que j’écris, les portraits que je réalise, les histoires que je publie dans de grands quotidiens français, dans mes documentaires ou mes chroniques pour des programmes radio. Les formats et les supports peuvent changer, mais l’intention reste la même : je questionne, enquête, écris, parle et conseille sur la fin du monde telle que nous la connaissons et ce qui pourrait en découler, quelles solutions apporter, quels comportements adopter et quelles personnes soutenir.

Mary Finn, quel motif vous a amenée sur l’île de Lesbos ?

J’avais dix-huit ans et j’étais à l’école d’art, j’étudiais pour devenir photojournaliste et j’ai décidé d’aller à Lesbos pour illustrer ce qui se passait là-bas avec la crise des migrants. Cela faisait les gros titres à l’époque et j’avais des amis qui travaillaient sur les bateaux de sauvetage là-bas. J’ai fait du bénévolat sur les bateaux pendant quelques semaines et je me suis de plus en plus impliquée tant en Grèce qu’en Méditerranée centrale. La situation était folle et j’ai vite réalisé que je ne pouvais pas simplement me contenter d’illustrer ce qui se passait. Je voulais faire plus.

Comment est née l’idée de ce documentaire qui suit divers activistes à travers le monde ?

J’ai porté l’idée de ce film depuis des années et j’ai pris conscience depuis que j’ai rencontré Melati que partout, des jeunes se lèvent et agissent là où les autorités (renoncent souvent. Nous sommes mus par un même sentiment d’urgence mais faire un film est un long processus. Je voulais montrer cette jeunesse engagée : Melati que vous avez rencontrée, Paloma, dix-sept ans, qui a cofondé une association de soutien scolaire pour les jeunes migrants et Mary, ici présente avec moi, qui a passé beaucoup de temps avec des migrants sur l’île de Lesbos.

Mary, comme de nombreux activistes à travers le monde, vous avez commencé votre bébévolat très jeune ?

Quand j’ai commencé à travailler sur l’île de Lesbos, j’avais dix-huit ans. Je suis devenue capitaine d’un bateau de sauvetage. Je me suis rendue à Lesbos pour y faire des photos pour mon travail de diplôme et je voulais documenter la situation des migrants sur l’île, Quand j’ai découvert la gravité de la situation des migrants, j’ai décidé de venir en aide à ces migrants. Je suis devenue secouriste en mer, puis j’ai été volontaire dans des camps de réfugiés. Je suis devenue capitaine de mon bateau à Lesbos j’étais déterminée à sauver autant de personnes que possible.

Flore Vasseur :

La Turquie compte 70 000 habitants, dont 8 000 réfugiés qui vivent dans des campements de fortune.

Mary Finn :

Quand je suis allée à Lesbos, qui est la principale porte d’entrée en Europe, j’ai découvert une situation que je n’aurais jamais soupçonnée. Il y a un atroce commerce qui est fait en Turquie où l’on vend des gilets de sauvetage qui ne servent à rien. Des familles entières en achètent avant de tenter la traversée en pensant qu’e ces gilets pourront les sauver. Ils partent de nuit et les passeurs ne leur donnent aucune indication. Les migrants sont complètement livrés à eux-mêmes !

Flore Vasseur :

En 2015, il y a eu des centaines de milliers d’arrivées, mais ce flux s’est tari en 2016, car l’Union européenne a donné six milliards d’euros à la Turquie pour bloquer les embarcations de réfugiés essayant d’aller en Grèce. Depuis, le trafic a repris : deux mille bateaux ont accosté quand nous étions en train de tourner. Melati et le reste de l’équipe ont y rencontré Mary. Céline, vingt-trois ans, une autre bénévole dans des camps de migrants, m’a raconté que plusieurs réfugiés lui ont dit que c’est le premier sourire, quand ils touchent terre après une traversée en mer très difficile, qui leur donne la force et le courage d’aller jusqu’au bout de leur périple. Malheureusement, beaucoup ne parviennent jamais à traverser la Méditerranée.

Mary, pouvez-vous nous parler de vos conditions de travail à Lesbos et en mer ?

Lorsqu’on travaille dans la recherche et le sauvetage de personnes, on attend tout le temps, sans jamais savoir quand vous recevrez un appel de secours. C’était l’été quand je suis allée pour la première fois à Lesbos. La juxtaposition d’être sur une île grecque idyllique avec une telle tragédie et des scènes poignantes sur ses rives était choquante. Nous nagions dans la mer en attendant d’être appelés, puis nous partions porter secours à des gens qui se trouvaient dans la même eau que nous mais dans de terribles conditions. Quand on intervient pour secourir des personnes, on sait que le temps est compté. Lesbos est un symbole d’espoir pour ceux qui risquent la traversée des eaux de la Mer Egée pour se rendre en Europe mais la réalité de « l’arrivée en Europe » sur cette île n’est pas aussi prometteuse qu’ils le pensaient. Malheureusement, le voyage ne fait que commencer dans ces camps d’infortune et beaucoup d’entre eux passent des années à attendre dans des conditions désastreuses, dans l’espoir d’atteindre la sécurité et le confort qu’ils méritent.

Quel moment vous a le plus marqué dans votre expérience en tant que bénévole, Mary ?

C’était ma première mission sur l’Aquarius, un navire de sauvetage de SOS Méditerranée. Nous partions en mission de recherche de trois semaines pour secourir des bateaux en détresse entre l’Afrique du Nord et l’Italie. C’était comme notre travail en mer Égée, mais à une échelle beaucoup plus grande et plus dangereuse, car la traversée de la Méditerranée centrale est réputée comme la plus meurtrière au monde. Il y avait une jeune femme de dix-neuf ans. Elle venait de Somalie et était à un stade avancé de sa grossesse. Elle était si faible qu’elle pouvait à peine supporter son propre poids. Je l’ai aidée à descendre du bateau, et quand je lui ai tenu la main, elle était vraiment molle. À ce moment-là, je n’ai pas pu m’empêcher de comparer nos vies à la situation des migrants, d’autant que cette jeune fille et moi, nous avions le même âge. Mais elle était enceinte, seule et au milieu de l’océan. On a découvert qu’elle avait subi des mutilations génitales féminines et qu’elle souffrait d’une maladie du sang rare susceptible de rendre l’accouchement fatal sans intervention médicale. Elle a été évacuée à l’hôpital et a donné naissance à un bébé en bonne santé en Sicile. Je me demande toujours ce qui est advenu d’elle et de son bébé. Je ne connaissais pas son nom mais je n’oublierai jamais son visage !

Vous avez aussi travaillé dans certains camps sur le continent ?

Oui, je suis restée pendant cinq mois dans un camp à Ionnina, dans le nord de la Grèce, lorsque la pandémie a frappé. C’était une expérience très différente du travail d’intervention d’urgence, plus axé sur les effets à long terme du fait d’être bloqué dans un camp de réfugiés et les conséquences néfastes sur la santé mentale des gens, y compris des enfants. Il y avait un espace de créateurs appelé Habibi.Works, avec des ateliers de bois et de métal, un atelier de couture, un Media Lab, un potager et une cuisine communautaire. Les gens du camp pouvaient venir utiliser les installations pour développer une nouvelle compétence, réparer des choses ou simplement faire quelque chose pour s’occuper et ainsi s’amuser. Parfois, ces migrants restent dans ces camps pendant cinq ou six ans et ils ne peuvent pas rester à attendre sans rien faire, surtout les adultes. Les enfants s’en sortent un peu mieux comme ils jouent ensemble, et certains peuvent aller à l’école. Les adultes souffrent de n’avoir rien à faire. Ils veulent vraiment travailler mais ils ne peuvent pas. Avec ce projet, nous responsabilisions les gens pour les aider à se sentir actifs, donc utiles.

Quel est le bilan que vous tirez de ce périple ?

Flore Vassseur :

Cela a été un tournage bouleversant pour nous, ce sont des histoires de vie et de mort. Mais quand on voit la mobilisation des personnes sur place, comme Mary, on reprend espoir. Le constat est sans appel : accroissement des inégalités, crise alimentaire, du climat, des migrants, effondrement démocratique. Des solutions existent. Tout est là, sauf notre volonté de changer. Il nous manque une représentation positive du changement, des modèles à suivre, des aspirations plus fortes que nos peurs et réticences. Les paroles et les actes de ces jeunes activistes, clairs et sans concession, nous bouleversent. Nous pensons qu’ils peuvent nous convaincre et nous faire bouger, ce que jusqu’à présent aucun fait, aucun discours ni alerte scientifique n’a réussi à faire. Et nous guider !

Mary Finn :

Des milliers de personnes traversaient la Méditerranée pour échapper à la guerre et à la pauvreté. Ils avaient toutes et tous une vie, une famille, une maison, un travail. Les enfants étaient scolarisés. Ils viennent en Europe car ils n’ont pas d’autres choix. Mais vous n’avez pas besoin d’aller aussi loin pour faire la différence. Nous pouvons tous faire plus que ce que nous pensons.

Que vous a apporté cette expérience auprès de ces jeunes activistes ?

Mon but était de montrer que, dans cette tempête médiatique, Greta Thunberg et les quelques autres qui émergent sont loin d’être les seuls et qu’à travers le monde, ces jeunes sont sur tous les fronts, pas seulement sur le climat. À chaque fois, ces jeunes dénoncent la même chose, ce qu’est devenu dans sa forme la plus intense le capitalisme. Tous ces jeunes activistes sont sur des terrains et des pays différents : au Brésil, aux États-Unis, en Ouganda, en Indonésie. Tous ces terrains de lutte sont différents mais leur point commun c’est ce système qui est en train de s’effondrer. Il a touché sa limite. La cause qui les réunit tous, c’est comme un élément rassembleur, c’est le climat, même si c’est loin d’être la seule.

Quels sont vos projets, Mary ?

J’ai passé beaucoup de temps à Lesbos, plusieurs années de ma jeunesse ! Je ne regrette rien mais je souhaite poursuivre ma formation pour devenir sage-femme. Je retournerai aider les migrants à Lesbos.

Propos recueillis par Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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