j:mag

lifestyle & responsible citizenship

Berlinale 2020Cinéma / KinoCulture / Kultur

Berlinale 2020 – Generation Kplus : Le film Los lobos (Les loups), de Samuel Kishi, parle d’enfance et d’immigration

[MàJ: A l’affiche sur les écrans suisses. La critique avait été mise en ligne le 24 février 2020 lors de la présentation du film à la Berlinale. Nous republions exceptionnellement la critique, le film ayant dû attendre longtemps sa sortie pour cause de pandémie. N.D.L.R.]

Après ses débuts en Corée et un prix à La Havane, le film Los Lobos, de Samuel Kishi Leopo, représente le Mexique à la 70ème  Berlinale  dans la section Generation Kplus.

— Leonardo Nájar Márquez, Martha Reyes Arias, Maximiliano Nájar Márquez – Los lobos
© Octavio Arauz

Los lobos parle d’un sujet dur, difficile et brûlant d’actualité : l’immigration et ses vicissitudes vues à hauteur d’enfant. Cependant, malgré la dureté du sujet, le film de Samuel Kishi est aussi plein d’humour, de poésie et de tendresse. Par sa vision empirique d’une expérience qui laisse des séquelles à vie, Los lobos  distille de l’espoir et porte un regard doux-amer sur ce chapitre de l’enfance du réalisateur et de son frère.

Dès la séquence d’ouverture, l’intention est claire : on entend une voix enfantine chanter une comptine mexicaine qui parle de morts qui dansent sur un pied et mangent du riz. Le contexte culturel des migrants est ainsi clairement défini comme le culte des morts est une tradition vivace qui fait partie de la vie socio-culturelle au Mexique.

Une voix de femme demande : « Leo, que vois-tu ? » Un très jeune enfant répond :  «Je vois la mer, le sable, le soleil. On va aller à Disneyland ? » La mère poursuit : « Et toi, Max, que vois-tu ? » Un garçon plus âgé de répondre laconiquement : « Rien ! »

D’emblée, Samuel Kishi a pris le parti de raconter le périple de l’émigration avec le regard d’enfants. Et pour cause ! Cette histoire est basée sur sa propre expérience d’enfance.

— Maximiliano Nájar Márquez – Los lobos
© Octavio Arauz

Le film suit Max et Leo, âgés respectivement de huit et cinq ans, qui accompagnent leur mère, Lucia (Martha Reyes Arias), dans sa quête d’une vie différente, et qu’elle espère meilleure, aux États-Unis. Le bus qui les emporte loin du grand-père paternel passe une frontière grillagée : un drapeau nord-américain flotte au vent. Dans les toilettes d’une gare routière où la petite famille fait un trin de toilette et se brosse les dents, Max observe un homme qui rase et se met à ausculter son menton pour y déceler des poils naissants.

S’ensuit une succession de clichés sur des pancartes, des annonces de location. La mère de famille se rend chez Monsieur Chan qui lui propose une chambre sale et meublée de manière succincte. Le trio poursuit sa quête pour revenir à l’endroit initial et tombe sur Madame Chan (Cici Lau), intransigeante commerciale qui fait comprendre à la mère de famille désespérée que cette chambre vétuste et insalubre est à prendre ou à laisser.

La promesse récurrente faite au jeune Leo de visiter Disneyland leur donne à tous trois  de l’espoir, alors qu’ils passent des heures à écouter les règles qu’elle enregistre pendant qu’elle se rend au travail. Les enfants commencent à construire un imaginaire avec ces mots et avec ce qu’ils voient à travers la fenêtre de leur nouveau quartier d’Albuquerque.

Toute cette expérience est arrivée à ma mère, mon frère et moi, rien de plus que nous sommes arrivés en Californie. En gros, c’est ce que ma mère a fait: elle nous a laissés enfermés et a enregistré des choses pour qu’elle ne nous manque pas. Elle nous a laissé les leçons et mon frère et moi avons attendu toute la journée

a expliqué le cinéaste à La Havane à propos de l’expérience qu’il a vécue à cinq ans et son frère âgé de trois ans.

Ma mère a été guerrière toute sa vie et nous a fait avancer.

a-t-il ajouté.

Au fil du récit, on comprend qu’au-delà de la transmission de son vécu, le cinéaste a voulu rendre hommage à la combattivité et la pugnacité de sa mère.

Au moment d’étreindre ses enfants, la maman leur demande : « Qui sommes-nous ? » Les deux garçons de répondre en chœur : « Des loups ! »

Le cinéaste parvient ensuite à retranscrire les longues journées d’attente, la solitude et l’ennui, source d’imagination galopante et de créativité. Max ordonne à son petit frère de courir puis écoute les battements de son cœur au stéthoscope. Dans cet espace exigu, les deux frères tentent de jouer au foot avec un ballon improvisé puis ils regardent par la fenêtre à barreaux d’autres enfants jouer au football sur la pelouse verdoyante. Difficile de rester confinés derrière les rideaux tirés et de ne pas céder à la tentation de sortir, ne serait-ce que devant la porte d’entrée !
Ils écoutent avec une nostalgie palpable la cassette sur laquelle leur grand-père joue de la guitare. Puis le duo de frères apprennent l’anglais, en lisant un livre bilingue ou en répétant les cris et les insultes qu’ils entendent jaillir de la chambre avoisinante.

— Leonardo Nájar Márquez et Maximiliano Nájar Márquez – Los lobos
© Octavio Arauz

Les journées sont longues, interminables en l’absence de leur maman. Ils écoutent les mots d’anglais que leur mère a enregistrés sur la cassette ainsi que des recommandations :

Les loups ne pleurent pas pas. Les loups mordent et hurlent; ils défendent leur maison.

Cette référence constante aux loups amène le cinéaste à insérer des dessins animés de petits loups dessinés par des enfants.

A la vision de Los lobos, on songe inévitablement à la situation actuelle terrible des migrants clandestins en Amérique centrale et à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, aux geôles où les enfants sont internés, séparés de leurs parents, au mur que l’actuel occupant de la Maison blanche à Washington fait construre. Los lobos invite à la réflexion sur des thématiques actuelles socio-politiques  la portée universelle.

Parler de l’immigration et de l’émigration n’est pas nouveau dans le septième art. On se rappelle La Jaula de oro de Diego Quemada-Diez, Eldorado de Markus Imhoof, Styx de Wolfgang Fischer ou Fuocoammare de Gianfranco Rosi, tous trois présentés à la Berlinale.

Nul doute que le public, les festivaliers et la presse seront sensibles à cette thématique et au traitement original de Los lobos qui aborde cette thématique à hauteur d’enfant avec une grande sensibilité et beaucoup de justesse, sans larmoiement ni pathos. Los lobos monter comment les enfants, bien que très jeunes, passent par une étape qui les fait grandir et mûrir. Raconté des yeux de l’enfant, le film présente une perspective imprégnée de tendresse et de naïveté, au sens positif du terme, autour de la migration.

Pour le cinéaste, son frère et sa mère, la vie dans l’autre pays n’a pas fonctionné et ils sont revenus à Guadalajara après deux ans; il a choisi de relater ce chapitre de leur vie à travers ce film écrit par lui-même, avec Sofía Gómez Córdova et Luis Briones (réalisateur et scénariste de The Blue Years). Les enfants sont interprétés par les frères à la ville Leonardo et Maximiliano Nájar Márquez et Lucía, par Martha Reyes Arias, tous trois remarquables.

Le public de la Berlinale est attentif et sensible aux thématiques qu’aborde Los lobos, enfance et migration. Les espoirs que Los lobos puisse être un gagnant sont élevés, car ce film, qui vient de gagner au Festival du nouveau cinéma latino-américain à La Havane, a marqué pour la forcé de son traitement :

La force, la résistance et la résilience des femmes et l’espoir des enfants» sont quelques-uns des aspects que le jury du Prix SIGNIS du Festival de La Havane a mis en évidence dans le film mexicain Los Lobos.

Firouz E. Pillet

© j:mag Tous droits réservés

Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

Firouz Pillet has 968 posts and counting. See all posts by Firouz Pillet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*