9e édition du Festival du film arabe de Berlin – ALFILM 11-18 avril 2018
La 9è édition du Festival du film arabe de Berlin offre une belle programmation avec des films primés à l’international – dont le film suisse de Karim Sayad , Des moutons et des hommes, qui a reçu le Prix du meilleur documentaire aux Journées de Soleure et que j:mag a interviewé pour sa sortie romande – ainsi qu’une thématique abordée très intéressante : « réflexions sur les masculinités arabes ».
La sélection officielle
Le festival s’ouvre mercredi 11 avril avec le film de Kaouther Ben Hania, La belle et la meute, qui avait eu sa Première au festival de Cannes 2017 dans la section Un certain regard, en présence de l’actrice principale Mariam Al Ferjani. Cette terrible histoire est librement adaptée de l’ouvrage Coupable d’avoir été violée de Meriem Ben Mohamed qui relate un fait divers qui avait bouleversé la Tunisie post-révoltes, celui d’une étudiante violée par des policiers et le cauchemar qui s’en suit pour que justice lui soit faite. Très habilement, la réalisatrice pose son récit sur une seule nuit pendant laquelle le spectateur est immergé avec victimes dans les couloirs kafkaïens des institutions tunisiennes. En 2018, avec les révélations qui secouent le monde entier depuis l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo, il est remarquable de constater que, malgré des spécificités sociétales et politiques locales, ce film a des résonances tout à fait universelles.
Autre point saillant du programme, dans un autre registre, celui de la comédie dramatique, le film d’Annemarie Jacir présenté en compétition officielle au Festival international du film de Locarno 2017, Wajib. Cette invitation au mariage (sous-titre du film en français) dépeint avec subtilité mais acuité la vie d’une ville et d’une vie palestinienne dans l’État d’Israël – Nazareth, à travers Abu Shadi, le père qui va marier sa fille, et son fils Shadi, exilé à Rome et qui revient pour le mariage et se plier à la tradition d’aller remettre avec son père les invitations en mains propres aux invités. Pendant ces journées passées ensemble, leurs vies différentes et les visions du monde qui en résultent vont faire apparaître de fortes tensions mais également beaucoup d’amour. Et comme souvent dans le cinéma palestinien, l’humour se révèle être un excellent moyen de résistance.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=22&v=DXpZ4CyeYrw
Les documentaires se font également une belle part dans la sélection officielle, avec le documentaire du Suisse Karim Sayad (voir l’interview que le cinéaste Lausannois a accordé à j :mag) qui avec Des moutons et des hommes (Prix du documentaire de Soleure 2018) nous fait entrer à la fois dans le quotidien d’un quartier populaire d’Alger, Bab-el-Oued, et dans une métaphore simple mais efficace de l’état psychologique de la société algérienne. Un autre documentaire très révélateur et de surcroît, malheureusement est-on obligé de dire, à nouveau d’actualité avec l’offensive turque au nord de la Syrie toujours en cours, est Mein Paradies d’Ekrem Heydo qui revient après 25 ans en Allemagne, dans sa ville natale Serê Kaniyê, située au nord de la Syrie, près de la frontière turque. Avec une photo de classe, il part à la recherche de ses anciens camarades et découvre une ville ravagée par la guerre, une population traumatisée et tourmentée par les vagues de groupes – de DAESH aux forces kurdes YPG qui tiennent la ville lors du tournage en passant par l’Armée de libration syrienne. Ville modèle de vivre-ensemble antan, avec des habitants arabes, kurdes, arméniens, assyriens, yézidis ou tchétchènes, elle s’est éclatée sur les obus des idéologies et manipulations qui accompagnent tout groupe armé tout aussi efficacement que des chars.
Comme tout festival qui se respecte, il ne saurait manquer un programme de courts métrages, format qui ouvre le cinéma et ses spectateurs à différentes formes narratives et créatives et/ou permet de dépasser les difficultés de production que rencontrent certaines régions ou les jeunes cinéastes.
Réflexions sur les masculinités arabes
Comme le montre l’actualité quasi quotidienne, la question de la masculinité est devenue une question cruciale de société un peu partout dans ce monde. Ce côté universaliste n’empêche pas les spécificités régionales, même si en y regardant de très près, elles se recoupent plus fréquemment qu’au premier abord dans des sociétés réputées très différentes. Le festival s’empare donc également du sujet avec un choix de films qui aborde les relations hommes-femmes et la place des hommes dans ces sociétés par ailleurs pas forcément arabes, si l’on prend au hasard celles du Maghreb qui sont également berbères, mais également la question de l’homosexualité et transsexualité.
Le samedi 14 avril au cinéma Arsenal, il y aura une conférence audiovisuel de Rasha Salti, une auteure et curatrice qui a présent est responsable du format des films documentaires sur ARTE, La Lucarne, sur l’histoire et les schémas de la masculinité dans le cinéma arabe. Dimanche 15 avril, une rencontre passionnante avec les cinéastes Merzak Allouache, Mohammad Hammad, Eliane Raheb et Mohamed Soueid sur le sujet.
Spécial « 70 ans de la Nakba »
Encore un sujet qui nous rattrape par nos écrans d’informations et les manifestations sanglantes et meurtrières qui agitent le grillage frontalier entre Gaza et Israël et qui, malgré les exactions de l’armée israélienne condamnées internationalement, doivent durer jusqu’au 15 mai, date de commémoration de la Catastrophe (Nakba en arabe) du 15 mai 1948 et qui se rapporte à l’exode forcé de 800’000 Palestiniens des territoires passés sous contrôle israélien suite à la défaite des armées arabes. Cette mémoire collective douloureuse, et dont les effets sur plusieurs générations peuvent se voir directement dans les nombreux camps de réfugiés qui ont essaimés en Cisjordanie occupée, à Gaza, en Jordanie, au Liban, en Syrie, camps qui par définition sont temporaires mais dans le cas palestiniens sont devenus des villes ou des quartiers des villes de leurs hôtes, avec des habitants qui sont toujours sous statut de réfugiés septante ans plus tard, se reflète bien entendu dans le cinéma palestinien.
Le festival propose à cet égard trois films documentaires et une soirée exposé-discussion avec Mohanad Yaqubi et Irit Neidhart intitulé For an Invisible People, Camera Would Be Their Weapon le mardi 17 avril au Wolf Studio.
Le cœur du festival se situe au cinéma Arsenal mais ALFILM s’ouvre à la ville avec différents lieux de projection : City Kino, fsk, Wolf Kino et Al Hamra où aura lieu la « festival party » le samedi 14 avril à partir de 22h.
Malik Berkati
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