Berlinale 2018 – compétition jour #6: Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot / Khook (Pig)
Cette 6e journée a commencé avec un habitué de la Berlinale, Gus Van Sant et un film prometteur au merveilleux titre, Don’t Worry, He Won’t Get Far On Foot. Deux heures plus tard, grosse déception. Le second film, lui aussi au titre qui éveille la curiosité, Khook (Pig) de l’iranien Mani Haghighi, lui aussi un habitué du festival – sur ces sept films, quatre y ont été présentés !
Don’t Worry, He Won’t Get Far On Foot
Gus Van Sant s’approprie les mémoires du caricaturiste étasunien John Callahan, caricaturiste du politiquement incorrect, pour en faire un biopic un peu trafiqué dans sa factualité même s’il restitue la réalité.
John à un humour qui aime flirter avec les limites, vit un peu à l’avenant et dire qu’il a un problème d’alcool est un euphémisme. Un soir, il fait la tournée des fêtes de Los Angeles avec une personne rencontrée dans la première party. Sur le chemin du retour, il laisse le volant à son compagnon de beuverie, s’endort sur le siège passager… et se réveille à l’hôpital, tétraplégique. Commence pour lui un long chemin de rééducation, d’adaptation et de réhabilitation. Il a 21 ans et réalise qu’il va être enchaîné à son fauteuil roulant électrique jusqu’à la fin de sa vie. Une fois l’étape du handicap physique plus ou moins assimilée, il se rend compte qu’il joue hors de sa vie pour une autre raison: son alcoolisme qu’il va finir par décider à traiter.
Évidemment, nous assistons à l’écran à un drame doublé d’une tragédie. Et pourtant, on a peine à en être touché. Le caractère de John Callahan n’est pas très sympathique certes, mais, au cinéma, nul besoin de trouver un personnage sympathique pour entrer en empathie ou simplement lui trouver de l’intérêt, surtout quand son histoire sort de l’ordinaire comme ici. L’explication de ce sentiment d’ennui qui flotte sur les trois quarts du film provient probablement du fait qu’il est très étasunien dans sa dimension de rédemption transcendantale qui sous-tend tout le chemin fait par John pour devenir sobre et prendre conscience des problèmes qui l’ont amener et maintenu dans cette dépendance. On passera sur la scène complètement ridicule de sa mère qui lui apparait – ce n’est pas du Gus Van Sant, ce n’est pas possible, on dirait une mauvaise série des années 1980 où sur les anges rendent visite aux humains! – et on ira directement à la figure de la femme, qui bien entendu va servir de catalyseur de retour à la vie de John: cette femme est tout d’abord kiné dans le centre où il effectue sa rééducation, puis hôtesse de l’air quand il la rencontre par hasard quelques temps plus tard. L’explication tient au fait que le réalisateur a construit se personnage à partir de plusieurs femmes qui apparaissent dans la biographie de John Callahan. Et cela ne fonctionne pas, le rôle d’Annu paraît factice. Pas impossible que le reste du scénario souffre du même problème d’authenticité puisque le réalisateur “[a] dû éluder de nombreuses choses car le livre est foisonnant d’éléments. En plus Callahan était un storyteller, et on ne peut pas être sûrs de tout ce qu’il a racontait même si probablement tout est basé sur des réalités. Mais ce qui est sûr c’est que parfois il racontait la même histoire de manière différentes; il aimait épicer ses histoires”, confie Gus Van Sant. Alors évidemment si John Callahan prend des libertés avec son histoire et Gus Van Sant prend des libertés sur les libertés originelles, pas étonnant que tout ceci devienne un peu abscons. Mais le plus aliénant est encore ailleurs, dans les incessants et incontournables passages rituels de pardons à demander aux autres et à soi-même – avec les serrements dans les bras inhérents – pour enfin trouver le salut et la paix.
Les jolis effets de manche cinématographiques consistants à faire des inserts de caricatures, parfois animées, pour illustrer un moment, les ellipses narratives effectués avec des séquences de défilés d’images représentant chacune une étape sur la ligne de vie, de brefs flashbacks, n’arrivent pas à compenser cette sensation que la sauce ne prend pas, que quelque chose cloche dans cette histoire. Reste la performance de Joaquin Phoenix qui comme d’habitude fait corps avec son personnage (et effectivement c’est une véritable performance) et essaie d’habiter son âme. Mais dans cette deuxième composante, l’effort, visible à l’écran, n’aboutit pas totalement. Cette impression que John n’est pas vraiment habité par Joaquin provient peut-être également du fait que l’on arrive difficilement à suivre physiquement son avancement dans la vie – il semble sans âge du début jusqu’à la fin, et une chose est sûre: si on ne sait pas quel âge il a au générique de fin, on sait qu’il n’a pas 21 ans 113 minutes plus tôt. Cependant, la Berlinale entamant sa seconde partie de compétition, on constate qu’il n’y a eu que très peu de films avec des rôles masculins forts, cette Berlinale étant celle des personnages féminins prédominants, Joaquin Phoenix a donc ses chances pour un ours d’interprétation.
De Gus Van Sant; avec Joaquin Phoenix, Jonah Hill, Rooney Mara, Jack Black, Mark Webber, Udo Kier, Carrie Brownstein, Beth Ditto, Kim Gordon; États-Unis; 2018; 113 minutes.
Khook (Pig)
Il y a deux ans, Mani Haghighi avait clôturé la compétition avec son film Ejhdeha Vared Mishavadi (A Dragon Arrives !) dans un feu d’artifices audio-visuel totalement absurde. Avec ce nouveau film, le cinéaste iranien revient avec une comédie toujours délicieusement noire mais beaucoup moins hermétique.
Hasan est un cinéaste interdit de tourner depuis des années devant se contenter de faire des spots publicitaires et surtout de voir ses collègues faire des films avec ses acteur-trice-s fétiches. Il enrage, il bout de jalousie et va finir par exploser quand l’actrice qui lui doit son succès – et qui est sa maîtresse – tourne avec un rival qu’il méprise. Il vit avec sa femmes – mais ils vivent chacun de leur côté -, sa fille qui essaie de le manager et sa mère qui semble un peu à l’ouest. Pour couronner le tout, un meurtrier en série sévit dans Téhéran: il assassine des réalisateurs, leur coupe la tête et inscrit au cutter sur leur front « cochon ». Et cela en rajoute à la rage, la jalousie et la frustration d’Hasan: mais pourquoi diable le tueur ne s’intéresse-t-il qu’à de médiocres cinéastes et l’ignore, lui, le meilleur réalisateur du pays?! Suite à des péripéties plus loufoques les unes que les autres, il arrive à devenir le premier suspect de ses meurtres et la cible de l’opinion publique façonnée par les réseaux sociaux qui partagent des vidéos de lui prises à son insu, ainsi que des vidéos à charge l’accusant d’être un meurtrier sans foi ni loi, avec le hashtag #HasanKasmai_estuntueur. Sa réputation étant en jeu, il se met en quête de rétablir la vérité, ce qui ne manquera pas de déboucher sur de nouvelles absurdités réjouissantes.
Mani Haghighi montre à travers ce personnage haut en couleurs, qui porte tout le temps des t-shirts aux motifs de hard-rock, l’antihéros par excellence qui fait les joies du septième art depuis ses débuts et celui du slapstick, les maux dont souffre le milieu culturel iranien au quotidien (surveillance, censure, interdiction, anxiété d’être dans le viseur des autorités ou la vindicte du public) mais dans une vision inclusive de l’Iran dans l’espace de village global, également les affres sans frontières qu’endurent les gens lorsque les réseaux sociaux s’emballent, que les images sont manipulées, que des fake news font office de vérités et Twitter de cours de justice. C’est aussi une propre réflexion du monde du cinéma, de la dose de narcissisme qu’il faut pour faire ce métier, du besoin incessant d’attention, des moments de doutes, du sentiment d’être un raté, des à-côtés faits de fans, d’amis intéressés, d’amant-e-s, de famille… Ce film est un pot-pourri furieux et acharné de tous ces éléments au milieu desquels Hasan se débat. Ce personnage est fabuleux et attachant, un vrai éléphant dans un monde d’apparences qui casse tout sur son passage, tant physiquement que psychologiquement mais qui n’est au fond qu’un grand enfant. D’ailleurs, les scènes avec sa mère son parmi les plus savoureuses, telle celle où, totalement déprimé, il va auprès d’elle pour se faire consoler: « Je suis mieux que tous ces cinéastes et il n’essaie même pas de me tuer, maman! », ce à quoi elle répond: « Mais bien sûr il va venir essayer, ne t’inquiète pas. »
Comme dans le film précédent, des esprits sous forme imagée se révèlent aux humains. Mais ce qui était ridicule dans Don’t Worry, He Won’t Get Far On Foot, trouve toute sa place dans la structure narrative de Khook. Le rôle des femmes est ici très bien travaillé: il y a la mère, l’épouse, la fille, l’amante et la stalkeuse qui englobent toutes les formes de relation qu’il peut avoir avec elles. Mais pas question de les réduire à un rôle d’alibi: ce sont des femmes à forte personnalité et ce sont elles qui déterminent le cours de l’histoire. La réussite de ce film tient grandement à la brillante distribution des personnages qui tournent autour d’Hasan et, dans le rôle d’Hasan, Hasan Majuni, ébouriffant dans son rôle d’ours mal léché pris dans une spirale de revers du destin – un autre prétendant au Prix d’interprétation masculine!
Cette comédie est réellement jouissive, mais ce qui l’est encore plus, c’est de voir du cinéma iranien qui ne ressemble pas à ce que l’on considère sous nos cieux comme devant être du cinéma iranien.
De Mani Haghighi; avec Hasan Majuni, Leila Hatami, Leili Rashidi, Parinaz Izadyar, Mina Jafarzadeh, Aynaz Azarhoosh, Ali Bagheri, Siamak Ansari, Ali Mosaffa; Iran; 2018; 108 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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