Berlinale 2018 – Forum : Waldheims Walzer (La valse de Waldheim)
Le documentaire de Ruth Beckermann, loin de nous faire rentrer dans l’univers policé du Concert du nouvel de Vienne ou du Bal des débutants de la même ville, nous plonge dans la période, à bien des égards hypocrite, de l’après-guerre. Néanmoins Waldheims Walzer ne nous parle pas que du passé mais fait également écho à notre temps et nous laisse avec un sentiment aigre à la fin du générique. Cette valse, qui est autant à double face qu’à trois temps, se reflète dans la vie politique de ce monde, allant des extrêmes-droites de la Mitteleuropa au « fakisme » de Trump, tous bruts populaciers.
La valse à trois temps
Kurt Waldheim, a été successivement officier d’état-major de la Wehrmacht (1942-1945) dans les Balkans, particulièrement à Salonique dont nonante-cinq pourcent des Juifs ont été déportés vers les camps de concentration et d’extermination, puis diplomate autrichien, avec pour consécration le poste de Secrétaire général des Nations-Unies (1972-1980), pour finir président de la République fédérale d’Autriche (1986-1992).
Lors de la campagne électorale de 1986, le Congrès juif mondial révèle à New York les zones d’ombres brunes de la biographie de l’ancien secrétaire général de l’ONU. Les remous atteignent les rue de Vienne où des manifestants exigent le retrait de Waldheim de la campagne. Ruth Beckermann faisait partie de cette foule. Avec une caméra et un micro, elle a entrepris de filmer cette campagne, du côté des activistes anti-Waldheim comme du côté des partisans du candidat du parti ÖVP – le parti populaire autrichien dont est issu l’actuel Chancelier fédéral, Sebastian Kurz, en fonction depuis le 18 décembre 2017 dans une coalition avec le parti nationaliste d’extrême-droite FPÖ. Quelques trente ans plus tard, la documentariste replonge dans ce matériel et dans les archives de ce temps de l’histoire qui a fracturé la société autrichienne qui n’avait jamais remis en cause la fable nationale qui voulait que l’Autriche faisait partie des nations victimes du nazisme bien qu’il ait été de notoriété publique que la dénazification d’après-guerre a été, pour le moins, dirigée par des intérêts géopolitiques et économiques. Comme Ruth Beckermann le souligne dans le commentaire : « la difficulté autrichienne est que l’Autriche a été considérée par les Alliés, et par conséquent par les générations suivantes, comme victime et non comme participant au nazisme. Les Autrichiens non donc pas pu, comme les Allemands l’ont fait, travailler cette histoire. »
Comme souvent dans la vie, le tragique côtoie le comique. Et si parfois on sourit de dépit et que l’on ne peut s’empêcher de hocher la tête devant tant de mauvaise foi évidente, il arrive que l’on éclate de rire, le décalage entre la réalité et la mise en scène du personnage principal malgré lui est grotesque, particulièrement dans cette besogneuse défense qui consiste à répéter, « je ne me souviens pas », faisant confusion entre Waldheim et Alzheimer…
Des haut-le-cœur tout de même quand Waldheim se définit en père des nations lors de ses mandats onusiens et s’érige en père de la nation pendant la campagne électorale, garant des valeurs supérieures que sont la moralité et l’éthique ; et lorsque, pendant la campagne enragée qui suit les révélations venues des États-Unis, la parole antisémite et ultranationaliste se libère tant au niveau politique qu’à celui de la rue.
Deux bémols au film
Premièrement, il n’était pas utile d’utiliser la revendication d’indépendance du peuple palestinien, une revendication par ailleurs politique et légitime, pour souligner le soupçon d’antisémitisme de Waldheim. Cette séquence de Yasser Arafat, chef de l’OLP, à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU porte en elle cette confusion qui s’est emparée des opinions par le biais de médias et politiques complaisants envers les gouvernements israéliens des 15 dernières années imposant cette idée que soutenir la volonté de création d’un État palestinien revient de facto à être antisémite. Dommage ! La deuxième remarque porte sur la question : mais comment Waldheim, et des milliers d’autres, ont-ils pu passer pendant quarante ans sous les radars et accéder aux plus hautes sphères qui politiques qui économiques ? À la décharge de la documentariste, il faudrait probablement en faire un autre film tellement la question est vaste et complexe.
Reflet dans un miroir contemporain
Mis à part la peste extrémiste qui accède à nouveau aux plus hautes fonctions dans la Mitteleuropa de ce début de 21e siècle, nous retrouvons les maux emblématiques du moment politique international : les faits alternatifs, les théories du complot et d’ingérence étrangère. Ainsi que les hoquets de l’histoire qui nous renvoient aux dégoûts précités avec la parole « libérée », en ce moment très précis en Europe sur l’islam et les musulmans, mais soyons-en assurés, en sous-texte envers les mêmes victimes qu’il y a huitante ans : les Juifs, les populations Rroms, les homosexuels, les opposants politiques et toutes minorités qui ne participent pas au roman nationaliste fantasmé.
Évidemment, le documentaire de Ruth Beckermann est à charge. Il n’en reste pas moins très bien fait, avec un excellent travail de montage et une dramaturgie très bien construite qui justement ne cache jamais son parti pris.
Malik Berkati, Berlin
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