Cannes 2019 : Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec ont présenté dans la sélection Un certain regard leur adaptation en animation des “Hirondelles de Kaboul », film très attendu tant par la critiques que par le public, tous comblés!
Été 1998, Kaboul est en ruines, occupée par les talibans. Dans les ruines brûlantes de la cité millénaire de Kaboul, la mort rôde, un turban noir autour du crâne. Ici, une lapidation de femme, là des exécutions publiques, les Taliban veillent. La joie et le rire sont suspects. Atiq (Simon Abkarian), le courageux moudjahid reconverti en geôlier, traîne sa peine. Il surtout abattu de voir sa femme (Hiam Abbas) dépérir d’un cancer comme elle ne peut accéder à de véritables soins. Le goût de vivre a également abandonné Mohsen, qui rêvait de modernité. Son épouse Zunaira, avocate, plus belle que le ciel, est désormais condamnée à l’obscurité grillagée du tchadri. Alors Kaboul, que la folie guette, n’a plus d’autres histoires à offrir que des tragédies. Le printemps des hirondelles semble bien loin encore… Mohsen (Swann Arlaud) et Zunaira (Zita Hanrot) sont jeunes, ils s’aiment profondément. Tous deux ont fait des études universitaires, lui pour enseigner le français et l’histoire, elle pour enseigner le droit et le dessin. Mais le dessin, la musique, la culture en général, tout est considéré comme « haram » par les extrémistes qui dirigent dorénavant la ville dont le chef de file. En dépit de la violence et de la misère quotidienne, ils veulent croire en l’avenir. Un geste insensé de Mohsen va faire basculer leurs vies.
Il était, bien évidemment, impensable d’envisager une adaptation filmée du livre éponyme de Yasmina Khadra. Une scène rêvée par Mohsen et sa magnifique Zunaira rappelle, avec une profonde nostalgie, que Kaboul, aujourd’hui délabrée, a connu une vie normale, avec des cafés, de la musique et des sorties au cinéma. Mohsen ne parvient pas à lâcher son rêves de liberté et retourne tous les jours dans les décombres des amphithéâtres de son université. Un jour, fortuitement, il y rencontre son ancien professeur (Michel Jonasz) qui vient quotidiennement pour tenter de sauver quelques livres. Ce dernier propose à Mohsen de se soumettre, devenir enseignant pour l’école coranique, histoire de tromper l’ennemi qui est partout, et de rejoindre l’école clandestine qu’il a créé « afin d’instruire les enfants, adultes de demain, qui pourront nous libérer. »
Esthétiquement, le film est une grande réussite, d’ailleurs ovationnée par le public qui est sorti très ému de la salle. En effet, il est une chose de lire une triste réalité et de se l’imaginer; il en est une autre de la voir défiler sous nos yeux par le truchement judicieux et explicite de la technique du stop motion.
L’anglicisme stop motion, appelé en France l’animation en volume est l’une des techniques d’animation, donnant l’illusion de voir des objets animés d’une vie propre et doués de mouvements, est un procédé dont la technique est identique à celle du dessin animé, mais avec des objets. Une scène constituée d’objets est filmée à l’aide d’une caméra dédiée à l’animation, c’est-à-dire pouvant enregistrer une seule photographie à la fois sur une pellicule cinématographique ou sur un support numérique. Recourir à cette technique permettait à Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec de faire la parade à l’impossibilité de tourner en Afghanistan et tourner au Maroc, pays de prédilection de tournages, n’aurait pas amené une véracité et une authenticité.
Dans Les hirondelles de Kaboul, les spectateurs se retrouvent en immersion auprès des protagonistes, ressentent leurs peines et leurs peurs, voient à travers la petite « fenêtre » grillagée du chador que les femmes sont contraintes à porter et sont confrontés de plein fouet à ce contexte terrifiant.
Les comédiens choisis pour prêter leur voix aux personnages sont ainsi reconnaissables tant par la voix que par l’aspect, ce qui conforte dans l’esprit des spectateurs ce sentiment de bien les connaître.
Et quand, alors que retentit l’appel à la prière, on amène une femme condamnée, cachée sous son chador, à être lapidée (évidemment, il est plus facile de lancer des pierres sur une femme jusqu’à la mort si on ne voit pas son visage !), on ne peut que ressentir une immense compassion pour les Afghans en songeant que cette situation demeure actuelle.
Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec ont relevé un défi ardu et réussissent ici un très grand film, un cri d’indignation contre l’obscurantisme qui semble gagner notre planète !
Firouz E. Pillet, Cannes
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