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L’offensive de Nikos Kotzias contre ce qu’il nomme l’hypocrisie européenne envers la Grèce

Ironie comme seule l’Histoire peut en produire, après cinq années de grandes tensions entre l’Allemagne et la Grèce – dues à la crise de la dette, voilà les deux pays se retrouvant dans le même bateau concernant la question des réfugiés, à laquelle l’Europe fait face. Samedi 23 janvier, profitant d’une visite à Berlin pour rencontrer son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, le ministre des affaires étrangères Nikos Kotzias a tenu une conférence au Hellas Filmbox Berlin, 1er festival du cinéma grec en Allemagne.

Critique des médias européens

Pendant des décennies, le nombre de Grecs en Allemagne est resté stable. À Berlin il était d’environ 10’000 personnes jusqu’en 2010. Depuis la crise de la dette, le nombre a doublé, de nombreux jeunes sont venus en Allemagne pour essayer de trouver des perspectives professionnelles. Pour ces primo-arrivants, comme pour les Grecs installés depuis longtemps en Allemagne, le traitement médiatique de la crise de la dette a été extrêmement blessant : non seulement le tabloïd Bild Zeitung – quotidien le plus diffusé en Europe – du groupe Axel Springer a multiplié les Unes injurieuses, outrancières et malhonnêtes, mais le parti pris anti-grec a été porté par la majorité des médias allemands. Le ressentiment est donc grand, que ce soit au niveau du personnel politique grec de Syriza, qui dénonce le biais confinant au réflexe conditionnel dès qu’il s’agit de commenter les décisions, propositions politiques grecques ainsi que les réalités sociales sur lesquelles elles s’adossent, comme au niveau individuel comme le souligne Asteris Kutulas, le directeur du festival. « Avec ce festival, il s’agit de révéler les contradictions internes et les conflits externes de la Grèce qui ont conduit à la situation catastrophique actuelle, et en même temps de mettre en évidence les points de rupture entre la Grèce, l’Allemagne et l’UE qui ont surgi à la suite de cette crise. » Il ajoute, « nous voulons donner un aperçu de la situation actuelle de la Grèce, de sa population, de ses conflits intérieurs. Regarder ce pays à travers les yeux de ses cinéastes devrait offrir au public allemand une expérience claire, directe et honnête de la situation, ce qui est presque impossible à avoir à travers les médias allemands durant ces cinq dernières années. Les films grecs ont beaucoup plus à dire sur la crise qui frappe la Grèce que les journaux quotidiens allemands ».
De son côté Nikos Kotzias commente avec ironie les derniers sondages repris par la presse européenne annonçant que les jours de Syriza et du gouvernement Tsipras seraient comptés, les conservateurs de Nouvelle Démocratie sortant en tête dans ces sondages : « Tout le monde rêve de nous, et surtout de nous voir disparaître. Je peux vous parler du nouveau chef des conservateurs (Kiriakos Mitsotakis , N.D.A.) qui reproduit encore une fois la pratique du clan politico-financier, avec des liens avec l’Allemagne d’ailleurs, ce qui est très peu repris par la presse européenne, mais passons. Donc les conservateurs seraient devant… Magnifique ! Le rêve se réalise ! Mais je vous rappelle que ce sont les deux mêmes instituts de sondages qui disaient que nous perdrions les élections et le référendum… » D’après Nikos Kotzias, il existe d’autres sondages « qui ne sont pas repris par la presse européenne où nous restons en tête. Nous conservons notre base sociale. »

Le ministre des Affaires étrangères grec Nikos Kotzias au Hellas Filmbox Berlin. © Johanna Maria Fritz
Le ministre des Affaires étrangères grec Nikos Kotzias au Hellas Filmbox Berlin.
© Johanna Maria Fritz

La Grèce en grève

De nombreux secteurs sont en grève, la prochaine grève générale étant annoncée pour le 4 février 2016. La colère se focalise principalement sur la dernière réforme votée par le parlement concernant les retraites. Le ministre des affaires étrangères explique ainsi la situation de son gouvernement : « Il y a des mesures et réformes qui sont nécessaires et d’autres qui sont irrationnelles mais imposées par les bailleurs de fonds. Mais nous devons appliquer tous nos accords, même ceux qui ne nous conviennent pas et nous devons faire cela vite, tant que nous sommes populaires. Ce qui est étrange c’est que la troïka, malgré nos résultats positifs depuis une année refuse de faire une évaluation des réformes déjà engagées, ce qui nous amènerait à une restructuration de la dette. » Pour Nikos Kotzias, ce refus d’évaluation est motivé par le fait « qu’ils ne veulent pas que le premier gouvernement de gauche en Europe depuis des décennies réussisse. Il y a une grande hypocrisie de l’Union européenne et de sa presse. » Il concède que ces réformes asphyxient l’économie, obligent les Grecs les mieux éduqués à l’exil et dénonce le fait que cette migration est une perte sèche qui s’élève à des milliards d’euros pour le pays tout en profitant aux autres pays européens qui les emploient sans avoir à débourser un cent pour leur formation. Revenant aux retraites, il explique que dans les accords avec la troïka « les programmes parallèles ne sont pas interdits. Mais les bailleurs ne veulent également pas de ces propositions. Je rappelle que jusqu’à présent les retraites ont été réduites onze fois ! Je rappelle également qu’il y a de nombreuses familles qui vivent sur une seule retraite. Nos propositions sont donc d’instaurer une retraite minimum et d’indexer les pensions sur la croissance. » En guise de conclusion sur ce sujet, Nikos Kotzias assène : « La Grèce pourrait respirer. Veulent-ils que la Grèce réussisse ou pas ?! »

La question des réfugiés

Depuis cet été et la réaction exemplaire de l’Allemagne sur l’accueil des réfugiés et l’effet domino négatif sur le reste de l’UE, l’Allemagne – isolée – devient l’un des rares soutiens de la Grèce sur cette question, les deux pays ne cessant d’appeler à la solidarité européenne.
Commentant les dernières annonces autrichiennes sur le plafonnement du nombre de réfugiés, Nikos Kotzias déclare : « Nos amis de l’ex-empire austro-hongrois devraient être plus prudents quand ils parlent au sein de l’UE. Il faudrait rappeler à l’ÖVP (parti conservateur autrichien, N.D.A.) et au premier ministre hongrois Viktor Orban que l’Europe est trop importante pour qu’ils fassent de la politique intérieure sur le dos de l’Europe. » Il ajoute que fermer les frontières ne sert à rien car « les réfugiés trouveront toujours de nouveaux chemins pour venir en Europe du nord. » Il répond également aux critiques et pressions faites à la Grèce en expliquant que ceux qui leur font des reproches « sont les mêmes qui depuis des années font la guerre ou bombardent les régions d’où proviennent les réfugiés. » Nikos Kotzias explique également que les camps de réfugiés au Liban ou en Jordanie ne sont quasiment plus financés, que l’ONU n’a plus d’argent et que la Grèce avait averti l’UE il y a un an « que cela coûterait plus cher d’accueillir ces réfugiés qui quittent les camps où ils n’ont pas de quoi se nourrir et se vêtir, que de les financer ».
Cependant le ministre des affaires étrangères a également des reproches à exprimer à l’adresse de la Turquie et de l’UE: « La plupart des réfugiés passent par la Turquie. Au début il y avait 75% de Syriens, maintenant ils ne sont plus que 55%. Les autres sont des Afghans, des Pakistanais et des Maghrébins du Maroc et d’Algérie. Pour les Afghans et Pakistanais, il y a des accords de retour avec ces pays qui ne sont pas mis en œuvre. Pour les Marocains et Algériens, la Turquie est responsable : ces gens arrivent avec des vols low cost en Turquie qui ne demande pas de visa pour ces ressortissants. Ils n’ont plus qu’à faire la traversée de l’Égée pour arriver dans l’UE. » C’est pourquoi Nikos Kotzias demande que Frontex (l’Agence européenne de surveillance des frontières) mette à disposition 100 bateaux qui renverraient en Turquie les ressortissants non éligibles au statut de réfugié.
« En ce moment il y a peu de réfugiés qui arrivent, mais quand le temps s’améliorera, ils vont de nouveau arriver en nombre. Les membres de l’UE ne veulent ni donner de l’argent pour les camps en dehors de l’UE, ni accueillir des réfugiés, les institutions européennes ne veulent pas donner plus de personnel et matériel pour renforcer les frontières extérieures… cela ne peut pas fonctionner », prévient-il en guise de conclusion.

Malik Berkati, Berlin

(update: une version légèrement différente de cet article a été publiée dans l’édition du 29 janvier 2016 de Gauchebdo).

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Malik Berkati

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