Berlinale 2017 compétition jour #5: Helle Nächte (Bright Nights) / The Party / Mr. Long
Événement dans cette journée : le film de 9h était misérable, voire misérabiliste, celui de 12h fabuleux, voire magnifique. Il serait très courageux mais parfaitement justifié, restons toutefois prudents, nous ne sommes qu’à la moitié du festival (et on attend avec impatience de voir le nouveau Kaurismäki en compétition), d’envisager de donner la récompense suprême à une comédie qui a de l’épaisseur, même si On Body And Soul reste un grand favori.
Helle Nächte (Bright Nights)
D’ordinaire, les critiques essaient de raconter en quelques lignes la trame de l’histoire pour ne pas trop dévoiler l’histoire et gâcher le plaisir du spectateur de la découvrir. Le problème est, avec ce film, que si on applique cette convention, mis à part les infos de productions sur le film que l’on met en fin d’article, il n’y aurait rien. Du vide. Total et radical. Aucune substance à extraire. Rien, nada, walou.
Michael a perdu son père qui s’était isolé de sa famille en vivant au fin fond de la Norvège. La sœur de Michael ne veut pas l’accompagner à l’enterrement, il prend donc son fils de 14 ans dont il vit séparé et avec lequel il n’a presque pas de contacts. Et que se passe-t-il donc ? De manière diablement surprenante, le contact entre le père et le fils est difficile, mais le père – qui a perdu son père, ceci expliquant certainement ce soudain intérêt pour son fils – veut quand même tenter de recréer du lien et entame avec une Land Rover Discovery (ce détail – qui n’a aucune importance narrative – ne peut absolument pas échapper au spectateur : on voit la marque un nombre incalculable de fois) un chemin de croix (pour ceux qui regardent s’entend) initiatique père/fils durant lequel bien sûr ils vont s’aimanter et se repousser.
Alors oui, il y a de beaux paysages. Mais bon, la Norvège, tout le monde sait que c’est beau ! Thomas Arslan, un des représentants de ce que l’on appelle L’école de Berlin (peu de dialogues, une atmosphère légèrement dépressive, très ancrés dans la réalité et des lieux choisis) , qui avait cependant su s’en extraire avec le très réussi Gold présenté en 2013 à la Berlinale, a voulu faire un film « plutôt basé sur mon expérience, à partir des choses du quotidien ». Le problème est que son expérience, maintes et maintes fois relatée au cinéma – et vécue dans la vraie vie, est difficile à renouveler cinématographiquement. Parfois, si on n’a rien à ajouter à quelque chose, il vaut mieux s’abstenir. Ce road movie où il ne se passe absolument rien que des platitudes, accompagnées de silences aussi pauvres que les dialogues nous inflige en plus des images de poncifs écœurants, tel que : il faut se battre pour pouvoir se prendre dans les bras, ou, certainement le plus universel que vous n’aurez aucune peine à reconnaître si vous voyez régulièrement des films : vous avez remarqué qu’à chaque fois qu’un lac apparaît dans le cadre d’une scène, un ou les protagonistes, dans un réflexe atavique impressionnant, se penchent pour ramasser une pierre, la lancent pour admirer les ricochets qu’elles font dans l’eau? Et bien, en Norvège, il y a beaucoup de lacs… imaginez tous ces beaux ricochets que l’adolescent peut effectuer pour faire quelques vaguelettes dans son spleen…
De Thomas Arslan ; avec Georg Friedrich, Tristan Göbel, Marie Leuenberger ; Allemagne, Norvège ; 2017 ; 86 minutes.
The Party
Ce film est le total opposé à The Dinner. Pourtant, il en a la même prédisposition structurelle : une action qui va se dérouler dans un lieu précis avec des protagonistes qui vont petit à petit révéler leurs secrets et visages. Certes. Mais le film est anglais, et sa réalisatrice est Sally Potter. Ce qui chez Moverman était artificiel devient, chez Potter, art. Ce qui était lourd, convenu, appuyé dans les dialogues du Dinner devient sémillant, juste, enlevé dans la Party.
Le spectateur rit malgré le drame qui se joue, il jubile de se retrouver dans ce tourbillon d’excellence qui jaillit de toute part : des images, de la lumière de ce magnifique noir et blanc, des angles de caméra, des dialogues, des performances d’acteur, de l’humour acéré à la tradition grande-bretonne, de la profondeur du propos. Ce film a reçu une réelle ovation des journalistes non seulement car c’est du grand cinéma que nous a proposé Sally Potter, mais c’est aussi la démonstration que l’on peut dire et montrer des choses essentielles de notre temps qui est sombre, sans forcément accabler celui qui écoute et regarde. Cette cinéaste est non seulement un génie artistique qui sur chaque projet à cette intelligence de savoir composer la meilleure équipe possible, don qui a lui seul pallie en grande partie le peu de moyens dont elle dispose pour faire ses films, mais elle a également un discours réfléchi et profond sur les choses du monde qu’elle articule avec une rare intelligence dans le viseur de sa caméra. Á la question, comment a-t-elle écrit ses dialogues si exacts, elle répond : « en écoutant avec beaucoup d’attention ce que les gens disent et comment, mais surtout en observant ce qu’ils ne disent pas. » Et si on lui demande pourquoi elle a choisi le noir et blanc, elle expliquera que c’est « pour ne pas distraire le spectateur avec le faux naturalisme qu’amène la couleur, laisser la liberté et l’espace au cerveau de chacun de mettre sa couleur sur l’histoire. » Ce film qui a été tourné en deux semaines est pour la réalisatrice « également une déclaration contre cette tendance, tant dans le cinéma qu’ailleurs, de faire les choses toujours plus grandes, de plus en plus massives avec le plus de moyens. Il est possible de faire du vrai cinéma, avec peu de moyens mais intensité. On peut accomplir beaucoup de choses avec peu si on a une intention créatrice. » Cela débouche, comme si besoin était !, sur une autre qualité du film : la tendance des films de 2h et plus est devenu une normalité et, franchement, la plupart du temps ce n’est absolument pas justifié. The Party ne fait que 71 minutes, génériques compris. Sally Potter n’étire pas d’une seule seconde son film, au contraire, elle tire même légèrement la corde de la frustration… en réalité, on aurait aimé passer quelques minutes supplémentaires au milieu de cette fête et de ses invités.
Le prétexte à la fête organisée chez Janet (Kristin Scott Thomas) est sa nomination comme ministre de la santé dans le cabinet fantôme du gouvernement. Classiquement, autrement il n’y aurait pas de d’histoire, cette rencontre va prendre une toute direction que celle de la fête prévue. Son mari Bill, professeur d’université, va coup sur coup chambouler ce microcosme avec deux révélations qui font vaciller les fondements de Janet. Ces pavés dans la marre vont faire éclater la superficialité des discours policés et craqueler les carapaces derrière lesquels les personnages se protègent. Dans ce petit monde intellectuel social-libéral se cachent d’autres pulsions plus primitives. Ces champions du verbe et de la rhétorique vont se retrouver à court de mots pour exprimer ce qu’ils ressentent, et là, parfois à leur esprit défendant, c’est leur corps qui va parler. Dans cette comédie de société, les personnages jouent leurs rôles représentatifs – qui du financier sans scrupules, qui du vieux baba cool farfelu, qui de la professeure d’université hyperspécialisée, qui de la meilleure amie oisive en perpétuel commentaire à l’emporte-pièce sur les comportements des gens ou ce qu’ils disent, etc. – mais sans tomber dans le registre du stéréotype radical qui fait perdre leur épaisseur humaine aux individus. Ils sont aussi l’instrument de Sally Potter pour mettre en évidence quelques-unes de ses vérités. Elle explique que « la politique est dans tous les registres et à cet égard, il faudrait avoir un peu de respect vis-à-vis de la vérité. Les gens perdent le sens de la politique, ils n’arrivent plus à faire la différence entre la vérité et le mensonge, à parler vrai. C’est pourquoi le fait de dire la vérité au niveau politique et personnel est l’élément central du film. J’ai voulu faire une comédie légère avec un regard aimable sur l’état de cette Angleterre estropiée. »
De Sally Potter ; avec Patricia Clarkson, Bruno Ganz, Cherry Jones, Emily Mortimer, Cillian Murphy, Kristin Scott Thomas, Timothy Spall ; Grande-Bretagne; 2017; 71 minutes.
Mr. Long
Encore un joli film que ce Mr. Long ! Alors attention, quand on dit joli, il faut garder à l’esprit que l’on parle d’un film de Sabu qui ne fait pas toujours dans la dentelle. Chantre des comédies noires à l’humour parfois absurde mais toujours avec une dose de mélancolie, souvent servies par des antihéros, avec ce film, le cinéaste japonais ne déroge pas à la règle si ce n’est dans le fil narratif moins trépidant que d’ordinaire. Des sols jonchés de cadavres et du sang qui gicle un peu partout, il y en a. Son personnage principal, Long, est un tueur à gages venu de Taïwan pour achever un contrat. Les choses dérapent et il est obligé de prendre la fuite. Il se retrouve blessé dans un quartier délabré d’une petite ville où un petit garçon va l’aider à se soigner. La mère de Jun est une droguée qui est également originaire de Taiwan. Comme elle ne s’occupe pas de son enfant, Long va faire à manger au petit. Dans le voisinage, les gens apprennent que quelqu’un fait de l’excellente cuisine et viennent le solliciter pour faire à manger. Ils apprécient tellement sa cuisine qu’ils lui construisent un petit restaurant ambulant devant lequel, rapidement de longues files vont se former. Ceci est l’occasion pour les protagonistes d’un renouveau, de tenter de prendre un autre chemin et briser la spirale du destin qui violente les vies. Mais, comme souvent, l’adversité rattrape les bonnes volontés et la roue ne tourne pas si facilement.
La cinématographie est très caractéristique du genre avec la saturation des couleurs et des contrastes de nuit comme de jour, des sons. Il ne faut pas être épileptique pour regarder ce film qui alterne par ailleurs les scènes trépidantes avec des moments beaucoup plus lents et contemplatifs. Avec Mr. Long, on traverse les bas-fonds du monde de la nuit jusqu’à leurs tréfonds hantés par des drogués qui n’arrivent plus à rien d’autre que de se piquer. La joliesse du film réside dans le lien qui se tisse tout doucement entre Long et le petit Jun (superbement interprété), entre Long et les habitants de la petite ville, entre Long et la mère de Jun. Évidemment, les situations n’ont rien de réaliste, l’absurde et le cocasse dominent, mais la simplicité et la naïveté des caractères – particulièrement des habitants de la ville qui prennent sous leur aile Mr. Long – est d’une délicatesse qui tranche – si on ose dire, puisque Mr. Long est cuisinier… il sait bien manier le couteau et il ne se prive pas de le démontrer quand besoin est ! – avec la noirceur et la cruauté de certains pans de la société.
De Sabu ; avec Chen Chang, Sho Aoyagi, Yiti Yao, Junyin Bai ; Japon, Hong-Kong, Taiwan, Allemagne ; 2017 ; 129 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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