Berlinale 2016 – Les pattes d’ours décernées par j:mag
Cet article n’est pas très original dans le monde des médias, mais c’est une première à j:mag – assez étonnant quand on pense que nous existons depuis 20 ans! Aujourd’hui nous donnons nos prix en attendant celui du prestigieux jury international présidé par Meryl Streep. Nous les nommons les Pattes d’ours – pour l’empreinte laissée une fois le générique déroulé jusqu’au bout (il faudra que l’on vous parle un jour du sujet “générique”) et l’écran redevenu blanc.
Les Pattes d’ours de j:mag:
Meilleur film:
Fuocoammare de Gianfranco Rosi.
C’est un film important sur un sujet important. Les réfugiés et la mort qui plane sur la mer Méditerranée. Il est présenté comme un documentaire. Oui, c’en est un. Mais c’est surtout un film de cinéma à voir au cinéma – même si sa diffusion assurée en télévision, car ARTE l’a co-produit, est la meilleure chose qui soit pour être vu par un large public. Gianfranco Rosi scénarise de telle manière son documentaire que la réalité n’en est que plus prégnante, quant à la cinématographie, elle est celle d’un long-métrage de fiction, bien loin des conventions du documentaire classique formaté pour le confort didactique du spectateur de télévision.
Mention spéciale (qui n’existe pas au palmarès):
Kollektivet parce que Thomas Vinterberg se retrouve – après Loin de la foule déchaînée, adaptation très conventionnelle d’un roman britannique – dans une histoire danoise, avec un formidable casting danois, une belle réalisation danoise… une comédie danoise avec un happy end danois. Jubilatoire!
Meilleure réalisation:
André Téchiné pour Quand on a 17 ans.
Le réalisateur français propose avec ce film une histoire subtile, à plusieurs facettes toutes bien amenées, traitées et servies par de très bons acteurs. André Téchiné aurait pu concentrer son histoire sur la passion adolescente de deux jeunes outsiders dans une petite vallée reculée de la France. Mais il a su développer d’autres éléments qui se marient harmonieusement au récit principal, comme celui de la filiation, celui du non-enfermement dans un rôle définit par la société, celui de la déprogrammation de la norme. Sa direction d’acteurs est remarquable. Les deux protagonistes principaux révèlent un potentiel énorme grâce au travail effectué avec Téchiné et Sandrine Kiberlain trouve ici un de ses meilleurs rôles, qu’elle incarne avec une joie et une légèreté très attachante.
Meilleur scénario:
Carl Gerber, Anne Zohar Berrached pour 24 Wochen de Anne Zohar Berrached.
Histoire extrêmement difficile à traiter, sujet à polémiques (et encore plus si on prend en compte les différences culturelles – les critiques russes et étasuniens ont été extrêmement indisposés par ce film), ces 24 semaines relatent le cheminement douloureux d’un couple face à une décision existentielle: garder ou non un enfant en gestation dont on a décelé un handicap mental puis une malformation cardiaque. Ce film met à rude épreuve le spectateur qui ne peut ressortir de la projection indemne. Bouleversant, ce récit met en lumière une réalité dont personne ne parle mais dont presque tout le monde, à un niveau ou un autre, a été confronté personnellement ou par son entourage.
Mention spéciale scénario (qui n’existe pas au palmarès) à Denis Côté (scénario et réalisation) pour Boris sans Béatrice – une narration audacieuse et légèrement fantastique pour une histoire dont le sujet n’a rien de bien rocambolesque: un homme qui essaie de se reconnecter à sa vie, à son entourage et sortir de sa tour d’ivoire. L’illustration parfaite de la magie du cinéma qui n’est pas obligé d’être toujours en mission mais peut aussi simplement magnifier le quotidien pour mieux bousculer le spectateur en lui ouvrant les yeux sur de (petites) réalités qui pourraient bien le concerner…
Meilleure contribution technique:
Extrêmement difficile de faire un choix parmi les ce qui nous a été proposé cette année et qui était d’une grande qualité. Sans compter que la contribution technique englobe les domaines de la photographie (caméra), du montage, de la musique… Nous allons donc nous décider pour la cinématographie, ex æquo pour deux films que la caméra et le montage opposent:
Mark Lee Ping-Bing pour Chang Jiang Tu (Crosscurrent) de Yang Chao et Houman Behmanesh pour Ejhdeha Vared Mishavadi (A Dragon Arrives !) de Mani Haghighi.
Alors que le premier coule lentement au fil du fleuve-poésie du Yang Tsé, de ses paysages envoûtants, de ses rives mystérieuses et abandonnées amenant le spectateur dans une contemplation impressionniste, le second nous entraîne dans une cavalcade de couleurs où l’expressionnisme des images le dispute au surréalisme de l’histoire. Films à ne pas voir dans la même journée si on veut éviter le choc des hémisphères cérébraux!
Meilleure actrice:
L’actrice danoise Trine Dyrholm pour son rôle dans Anna de Kollektivet de Thomas Vinterberg.
Beaucoup de rôles de femmes fortes et de rôles où des actrices se sont révélées, le choix a été difficile, surtout au regard de la prestation de Julia Jentsch dans 24 Wochen, Astrid devant faire un choix de vie ou de mort sur un être à venir. Mais la palette d’émotions, l’évolution du personnage de Trine Dyrholm sont beaucoup plus étendus. Une scène magnifique où l’on ne voit que le haut de son visage et toute la détresse de son monde qui s’écroule qui passe à l’horizon du bleu de ses yeux.
Meilleur acteur:
Inséparables dans Quand on a 17 ans, ils ne peuvent recevoir qu’ensemble ce prix ex æquo – l’acteur suisse Kacey Mottet Klein (qui a encore 17 ans mais vient pour la troisième fois à la Berlinale, dont deux en compétition officielle – L’enfant d’en haut de Ursula Meier qui avait gagné un prix qui n’a été attribué qu’une fois et donc créé pour ce film: l’Ours d’Argent spécial en 2012) et le français Corentin Fila. Ces deux jeunes hommes ont fait un travail remarquable sur eux-mêmes afin de rendre aux personnages et à la relation difficile qu’ils ont avec eux-mêmes et les autres une telle crédibilité.
Meilleure révélation féminine (prix qui n’existe pas au palmarès):
La luminescente actrice québecoise Simone-Élise Girard qui dans Boris sans Béatrice joue le rôle d’une femme en grave dépression autour de laquelle le récit du film tisse. Elle ne parle presque pas, elle ne bouge presque pas et pourtant elle fixe le regard du spectateur à l’écran. Une véritable performance qui révèle cette actrice qui a une cinquantaine de productions a son actif au Canada et aux États-Unis mais n’est pas encore connue en Europe. Espérons qu’un réalisateur européen change ce statut…
Meilleure révélation masculine (prix qui n’existe pas au palmarès):
Bon, pour finir, on va les séparer: Corentin Fila. Pour une première apparition au cinéma, un réel morceau de bravoure! Un bel avenir devant lui…
Innovation, un film qui ouvre une nouvelle perspective:
Ivo M. Ferreira pour Cartas da Guerra dont la narration sensorielle et esthétique à travers un récit épistolaire nous entraîne dans les horreurs d’une guerre coloniale à l’échelle d’un être humain en infini manque de sa femme et de son enfant à naître.
[Mise à jour 21.02.2016: Le palmarès officiel et nos commentaires]
Malik Berkati, Berlin
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