Une semaine de cinéma francophone à Berlin
Berlin en décembre, c’est le temps des marchés de Noël – environ 80 pendant toute la période de l’avent, sans compter ceux de quartiers qui ne durent qu’une fin de semaine – et de la Semaine du film français, appellation un peu abusive puisque l’idée originelle était de présenter des films en langue française. La semaine s’appelait d’ailleurs en toute logique la Semaine du film francophone et présentait à ses débuts également des films d’Afrique du nord et sub-saharienne. Depuis quelques années, UniFrance, la représentation institutionnelle de promotion du cinéma français dans le monde, a pris les rennes de la manifestation. L’Afrique a disparu des écrans, la francophonie s’est réduite à ses représentants du nord – Belgique, Canada et Suisse – qui bien souvent sont liés en coproduction avec ce fameux cinéma français et la semaine, de francophone est devenue française ! Mais puisqu’il existe toujours quelques films non-français dans la programmation, nous continuerons à l’appeler francophone…
L’importance du marché allemand pour le cinéma français
La programmation de ces dernières années reflète bien ce tournant dans l’esprit de cette manifestation : de festival ouvert sur des cinémas ayant une langue en commun, elle est devenue une semaine de promotion de films français ayant un distributeur en Allemagne, l’idée étant de présenter un maximum de Premières (9 pour cette édition) pour lancer les films avant leur sortie officielle. Il faut dire que le marché allemand a une certaine importance pour l’industrie française du film : en moyenne 50 films français par an sortent en Allemagne pour une part de marché oscillant entre 3,2% et 11,1%. L’année 2012 a été la plus rentable avec 15 millions de spectateurs allemands et, depuis, la fréquentation a suivi une courbe en dents de scie avec pour 2016, à date, seulement 2,9 millions de spectateurs. Au regard de ces chiffres, on peut comprendre que la priorité d’UniFrance n’est pas de présenter une large palette du cinéma français mais de promouvoir ceux qui amèneront en 2017 des spectateurs dans les salles.
Pas de panique, il y a aussi des films pour les spectateurs hors sentiers battus !
Mais pour cela il faudra aller à la salle de la cinémathèque allemande, Arsenal, qui présentera en association avec ACID (l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) une série de 5 films permettant d’entrer en contact avec la diversité d’expression du jeune cinéma français. Il y a un joyau cinématographique dans cette série :
[Pas de panique non plus pour les lecteurs qui veulent en savoir plus sur le programme principal, ne quittez pas la page, on en parle plus bas !]
Swagger d’Olivier Babinet, le film ovni qui pulse le spectateur encore longtemps après que la lumière est revenue dans la salle. Dans quelle catégorie le mettre ? Difficile tant ce documentaire n’en est pas un. Et pourtant, c’est bien de la réalité de 11 collégiens d’Aulney-sous-Bois, une banlieue distante de 15 kilomètres de Paris (« là où les Français sont » comme le disent ces ados) dont il est question. De leur quotidien dans un lieu où, quand ils y réfléchissent, ils ne se rappellent pas avoir jamais rencontré « un Français de souche », où les cris d’avertissements des guetteurs font écho aux sirènes de police une fois la nuit venue, où les dealers et les gangs côtoient la normalité. Mais ces gamins sont extraordinaires dans la construction de leur discours, la propre mise en scène de leur personne qui devient personnage, l’énonciation de leurs rêves, la description lucide de leur environnement, la définition de leurs angoisses. À ceux qui croient que ces adolescents sont perdus, allez les voir, les écouter, ils parlent d’eux et en creux de la société. Ils sont intelligents, sensibles, drôles et totalement dans ce monde.
Certains des protagonistes crèvent totalement l’écran, tel Régis, qui a le swagg jusqu’au bout du sourire, et lance avec évidence, « Obama, il a un charisme fou. Il sait marcher. François Hollande, quand il marche, euh…, c’est pas trop ça. ». D’autres sont plus timides, telle Aïssatou qui n’arrive pas à dire son nom au début mais qui au fil du film va nous accrocher à ses paroles autant que l’hypercool Régis et, avec un naturel sourd, nous scotcher quand elle dira, « J’ai l’habitude que les gens se moquent de moi mais je fais comme si je n’avais pas entendu ». Régis et Aïssatou, les deux extrêmes de Swagger, jamais misérabiliste, tournant le dos au bien commode naturalisme du documentaire sur les banlieues : ce qui est déroutant – et très réussi – dans ce film, c’est son aspect esthétique avec une cinématographie alliant des dispositifs classiques de mise en scène des jeunes parlant face caméra avec des scènes construites sur de la musique ou des chorégraphies en passant par des prises de vues de la cité par drone. Du vrai cinéma. À voir. Absolument.
Programme principal : des stars et du Cannes
On va se faire plaisir et commencer par LE film suisse de l’année (de la décennie, du siècle débutant ?) dont tout le monde parle depuis sa présentation à Cannes dans la Quinzaine des réalisateurs: Ma vie de courgette de Claude Barras qui représente la Suisse pour la course aux Oscars dans la catégorie films de langues étrangères (verdict en janvier 2017 pour l’entrée ou non dans la liste des nommés).
Pour rester en francophonie, le film de clôture sera La fille inconnue des Frères Dardenne qui après la présentation de leur dernière œuvre à Cannes l’ont remise sur l’ouvrage pour en présenter une version remontée qui change sensiblement la perspective de l’histoire racontée. Voilà une bonne occasion de rappeler que le montage est un art égal à celui de la cinématographie, même si par essence il est moins spectaculaire.
Pour représenter le Canada, tout naturellement le cinéaste francophone le plus célèbre du moment, Xavier Dolan avec Juste la fin du monde qui a reçu le Grand Prix du Jury à Cannes. Comme le second film suisse présenté, Moka de Frédéric Mermoud, la distribution est entièrement française (avec également Nathalie Baye) … mais peut-être qu’il n’y a aucune conclusion à en tirer.
La semaine s’ouvrira avec le biopic sur Jacques Cousteau, L’odyssée de Jérôme Salle, en présence du réalisateur et de Lambert Wilson. Les biographies cinématographiques sont à la mode depuis quelques années et cette semaine de cinéma s’en fait le reflet à travers un documentaire sur Benjamin Millepied et son travail à l’opéra de Paris (Relève, histoire d’une création d’Alban Teurlai et Thierry Demaizière) ainsi qu’un long métrage sur Marie Curie de Marie Noëlle, intitulé sobrement Marie Curie.
Autres films de cette semaine berlinoise qui ont fait les joies et fureurs de la Croisette en compétition : Ma Loute de Bruno Dumont et Personal Shopper d’Olivier Assayas. À côté des films présentés à Cannes, Die französische Filmwoche Berlin aime les films à stars, et à cet égard, le programme ne déçoit pas : outre dans Ma Loute Juliette Binoche, Fabrice Lucchini, Valeria Bruni-Tedeschi, dans L’Odyssée Lambert Wilson, Audrey Tautou, Pierre Niney, dans Personal Shopper Kirsten Stewart, Nathalie Baye deux fois, Marion Cotillard est également à l’affiche dans deux films, Juste la fin du monde et Mal de pierres de Nicole Garcia avec également Louis Garrel.
Pour faire la synthèse de manière positive, car ce film est un très bon film, Elle, présenté à Cannes, avec une grande actrice qui parfois se fourvoie dans la facilité mais retrouve dans cette histoire sa véritable stature, peut-être parce que le réalisateur néerlandais Paul Verhoeven savait que seule Isabelle Huppert pouvait jouer ce rôle dans toute sa radicalité mais ne s’est pas enfermer lui-même dans cette évidence et a agit avec l’actrice comme il se doit pour un cinéaste : la diriger.
Dans les films à grand potentiel de fréquentation des salles, Adopte un veuf de François Desagnat avec André Dussolier et Radin ! de Fred Cavayé avec un comique très apprécié en Allemagne, Dany Boon. Le programme comprend aussi Les châteaux de sable d’Olivier Jahan avec Emma de Caunes, Je vous souhaite d’être follement aimée d’Ounie Leconte et le film controversé de Marie-Castille Mention-Schaar sur la radicalisation de jeunes filles françaises, Le ciel attendra, avec Sandrine Bonnaire.
Presque en aparté, deux autres films qui ne peuvent être plus opposés : Les beaux jours d’Aranjuez, le dernier film (présenté à la Mostra de Venise) de Wim Wenders, abonné depuis quelques temps à une 3D absolument inutile voire nuisible, qui nous offre ici un huit-clos de terrasse, adapté de la pièce éponyme de Peter Handke, d’un byzantinisme soporifique, et Merci, Patron ! de François Ruffin qui entre dans la veine du genre documentaire de comédie à la Michael Moore ou des Yes Men et a fait un véritable tabac en France avec 500 000 entrées, avec pour but de piéger l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault de LVMH.
Cette semaine sera également l’occasion de découvrir la version restaurée de La grande Vadrouille de Gérard Oury, de participer à La nuit du court métrage avec des films de France, Belgique et Suisse, de suivre des tables rondes sur la création de séries télé françaises, et de voir un programme de 3 films adaptés de livres présenté par un historien du cinéma.
http://www.franzoesische-filmwoche.de
Du 30 novembre au 7 décembre 2016
Malik Berkati, Berlin
© j:mag Tous droits réservés