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Berlinale 2018 – compétition jour #3: Dovlatov / Transit / Eva

Belle journée de compétition en ce 3e jour, avec deux films potentiellement oursérisables et le troisième, Eva de Benoît Jacquot, d’une indigence crasse, ne servant qu’à la décoration du tapis rouge avec Isabelle Huppert.

Dovlatov

Alexey German Jr. revient 3 ans après son très beau Pod electricheskimi oblakami (Under Electric Clouds) – qui avait reçu l’Ours d’Argent, Prix de la meilleure contribution technique 2015 pour la caméra (Evgeniy Privin et Sergey Mikhalchuk)  ex aequo avec celle du film Victoria (Sturla Brandth Grøvlen) – avec un film moins hermétique que le sus-cité, qui revisite la période des années septante en Union soviétique à travers ses artistes maudits, et plus particulièrement ses écrivains. Autant le dire tout de suite, une seule critique sérieuse au film : il souffre dans sa narration de quelques répétitions qui allongent inutilement l’histoire.

— Milan Mariċ – Dovlatov
© SAGa Films

Leningrad, novembre 1971, la ville est sous un brouillard gelé – une des (belles) marottes du cinéaste russe qui filme à merveille la froidure des lieux. Nous sommes à la veille de l’anniversaire de la Révolution et nous allons vivre cette semaine de préparatifs en suivant le jeune écrivain Sergueï Dovlatov qui n’arrive pas à se faire publier dans les organes officiels, ce qui par ricochet l’empêche de rentrer dans L’Union des écrivains soviétiques. Son quotidien est fait de rencontres avec ses collègues artistes qui font face aux mêmes problèmes, ce qui les pousse à penser à l’exil, comme son ami le futur prix Nobel de littérature (1987) Joseph Brodsky. Dovlatev refuse de partir, il veut rester en Union soviétique, exercer son art et vivre une vie normale avec sa femme et sa fille. Mais rien n’y fait, sa vision du monde et de la place de la littérature et de l’art dans la société n’entre pas dans la ligne officielle. L’ironie de cette histoire est que les textes censurés dans l’Union soviétique de Brejnev sont devenus des bestsellers après l’éclatement de l’Union.

Alexey German Jr. :

Ces deux écrivains sont les plus importants en Russie pour la 2e partie du 20e siècle. Aujourd’hui, il y a des monuments à leur mémoire ! Ils n’étaient pas des dissidents, mais on voulait les faire partir. Pourquoi ?! Mon père était lui aussi un réalisateur dont les films ont été gardés sous séquestre pendant 15 ans. Il devait cacher des rouleaux de pellicules sous son lit pour qu’ils ne soient pas détruits. Des gens ne pouvaient pas travailler dans le cinéma par exemple car ils étaient Juifs. J’admire ces gens, car ils sont restés droits, ont gardé leur colonne vertébrale. Il est très difficile de rester fidèle à soi-même. Je crois que moi j’aurais eu peur si j’avais dû subir des refus incessants et faire face à des procès. Le langage artistique, c’était vraiment le dernier cri de résistance et si nous avons fait ce film, c’est pour montrer notre respect et amour envers ces gens.

— Milan Marić and Anton Shagin (centre) – Dovlatov
© SAGa Films

La texture du film est superbe, puisque cette fois-ci il fallait non seulement rendre le côté brumeux et fantomatique des choses mais également s’approprier les intérieurs et leur lumière particulière, et reconstituer les années septante. À cet égard, le réalisateur souligne l’importance du travail d’Elena Okopnaya,  scripte et responsable des décors et costumes :

Elle a su recréer une réalité soviétique avec très peu de moyens. Sans elle, je n’aurais pas pu rendre une atmosphère aussi réelle de l’époque. Mais à cause de notre budget réduit, malgré notre distribution d’acteurs connus, nous avons beaucoup travaillé dans des bâtiments abandonnés de Saint-Pétersbourg. Ainsi, le langage exprimé par la caméra de Łukasz Žal (de l’école de cinéma polonaise, N.D.A.) nous a permis d’aller dans la direction que nous voulions être le plus crédible possible.

La technique au service d’une beauté narrative visuelle, avec des scènes qui se découpent telles des danses de salons, permettant au spectateur de se couler dans le sillage de Dovlatov qui se faufile dans les recoins de l’observation de ses contemporains. L’art du plan séquence dans toute sa splendeur ! Beaucoup de dialogues – tout le temps en dialogue à vrai dire- qui exigent l’attention du spectateur qui parfois se divertir par la rythmique des plans qui, même lorsqu’ils sont fixes, s’animent du mouvement des personnes qui se glissent dans le cadre ou hors du cadre.

Du magnifique cinéma, qui invente une histoire avec des personnages réels pour raconter la réalité d’une époque, sans avoir peur de montrer qu’il fait du cinéma !

D’ Alexey German Jr ; avec Milan Marić, Danila Kozlovsky, Helena Sujecka, Artur Beschastny, Elena Lyadova, Anton Shagin, Svetlana Khodchenkova, Piotr Gasowski; Fédération de Russie, Pologne, Serbie; 2018; 126 minutes.

Transit

À date, le film de qui fait le plus consensus est celui de Christian Petzold qui part de l’idée du roman éponyme d’Anna Seghers – le cinéaste allemand insiste sur le fait que “ce n’est pas une adaptation, mais l’adaptation d’une idée”-, écrit en 1944, pour en faire une histoire qui traverse le temps.

Les troupes allemandes sont aux portes de Paris, c’est la fuite vers le sud pour essayer d’attraper un bateau pour les Amériques. Georg arrive à s’échapper in extremis d’une rafle de la police française avec dans son sac à dos le manuscrit de l’écrivain allemand Weidel qui vient de se donner la mort, ainsi qu’une lettre de l’ambassade du Mexique qui accepte de lui délivrer un visa. Grâce à un malentendu qui ne tentera pas de dissiper, à Marseille on le prend pour ce fameux Weidel. Il va donc effectuer les démarches qu’aurait faites l’écrivain et rencontrer dans les salles d’attentes, les couloirs de son hôtel, les cafés du port des réfugiés comme lui et entendre, malgré sa volonté de ne pas s’impliquer, leurs histoires.

— Franz Rogowski – Transit
© Schramm Film / Marco Krüger

La belle idée est de reprendre un lieu emblématique de l’époque de la tragédie de la Deuxième guerre mondiale, Marseille, mais dans sa forme contemporaine. La police qui fait les rafles porte les insignes du RAID, il y a des caméras de surveillance, des voitures d’aujourd’hui, des passants avec téléphones, le MUCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) est dans le paysage, mais les protagonistes principaux portent des vêtements d’époque, dorment dans des chambres sans âge et objets d’aujourd’hui. Le passé s’entrechoque avec le présent d’une manière visuelle avant de devenir évidente sur la thématique des réfugiés qui, aujourd’hui vivent les mêmes affres que ceux d’antan. Brillant ! On ne voit jamais, mis à part les supplétifs français du RAID, les grands méchants qui accourent. On ne les voit pas, mais on sent la menace, son souffle dans le dos des protagonistes, la fureur qui avance comme la marée, et les réfugiés désespérés qui tentent de lui échapper alors que tout le monde sait, qu’inexorablement, elle va les rattraper. La force symbolique des suicides, le premier de l’écrivain à Paris, le second d’une femme attendant sans vraiment y croire son départ pour les Amériques qui va se jeter, ô symbole dans le symbole, de l’esplanade du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, est à cet égard frappante.

« Notre film devait être un commentaire du passé envers notre présent », dit  Christian Petzold. « C’est à cause de ce qu’il s’est passé à l’époque où les gens fuyaient le nazisme et que ceux qui les voyaient passer ont soit livré aux autorités soit livré à eux-mêmes qu’est né le paragraphe sur le droit d’asile au niveau international. Et de nos jours, avec les réfugiés qui prennent les mêmes routes et passages pour se sauver, ici on voudrait abolir ce paragraphe. C’est inadmissible ! »

De Christian Petzold; avec Franz Rogowski,Paula Beer, Godehard Giese, Lilien Batman, Maryam Zaree, Barbara Auer, Matthias Brandt; Allemagne, France; 2018; 101 minutes.

Éva

Faisons bien, faisons court – une fois n’est pas coutume ! Ce film, qui plus est en compétition officielle!, est une farce. Il se veut sérieux – Isabelle Huppert nous précise qu’il est indiqué sur l’affiche « thriller psychologique », cette assertion ajoutant de la sidération à la consternation – on ne peut, au mieux, à force d’ennui  et de désespoir d’être coincé sur sa place de cinéma, que finir par rire de cet attrape-nigaud sans queue ni tête, mal filmé – on dirait du home vidéo ! -, au montage improbable et au jeu caricatural, malgré l’excellence des acteurs sous d’autres cieux cinématographiques.

— Gaspard Ulliel, Isabelle Huppert – Eva
© 2017 MACASSAR PRODUCTIONS – EUROPACORP – ARTE France CINEMA – NJJ ENTERTAINMENT – SCOPE PICTURES / Guy Ferrandis

Pour ceux qui voudraient tout de même tenter l’aventure du 3e degré – un concept élaboré dans le film qui voudrait que dans le travail d’écriture, après le 1er degré qui est plat, on travaille sur le 2e degré qui donne le relief pour revenir au 1er qui serait ainsi le 3e degré… Comprenne qui pourra, en tous les cas, avec ce film, Benoît Jacquot ne se contente pas de platitudes, il creuse allègrement pour bâtir un sous-sol à sa filmographie -, donc pour ceux qui voudraient s’infliger Éva : Bertrand, un aide-soignant à domicile un peu chelou laisse mourir un de ses clients dans sa baignoire, un vieil écrivain anglais qui vient de finir d’écrire une pièce. Bien évidemment, Bertrand vole le manuscrit et la pièce rencontre un formidable succès ainsi que son présumé auteur. Les problèmes arrivent lorsqu’il s’agit d’écrire une seconde pièce, ce dont il est bien entendu incapable. Pour l’aider face à son blocage, Caroline, sa compagne, lui prête le chalet de ses parents près d’Annecy. C’est là, dans des circonstances rocambolesques, qu’il va rencontrer Éva. À partir de là, tout part en vrille, l’histoire, les personnages, le scénario. Tout!

Ce film mériterait un Prix spécial: celui du Troisième Degré!

De Benoit Jacquot; avec Isabelle Huppert, Gaspard Ulliel, Julia Roy,Marc Barbe, Richard Berry; France, Belgique; 2017; 102 minutes.

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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