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68e Berlinale: un palmarès iconoclaste

Étrange Berlinale 2018: beaucoup de bons films mais pas de chefs-d’œuvre, par contre des choix inexplicables dans la sélection avec des films qui sont presque une atteinte à l’intégrité intellectuelle et sensorielle des spectateurs – on pense ici principalement à Eva de Benoît Jacquot, Mein Bruder heisst Robert und er ist ein Idiot de Philip Gröning et Damsel de David & Nathan Zellner. On pourrait inclure également dans cette face sombre de la sélection Touch Me Not de Adina Pintilie qui certes n’a absolument rien à faire dans cette section mais aurait été parfait dans celle de Forum, mais au moins ce film part d’une démarche artistique, ce que les 3 autres cités semblent cruellement manquer. Seules explications trouvées pour la présence d’Eva et Damsel, c’est le besoin de couvrir le tapis rouge de quelques stars brillant de tous leurs feux précédents et bien poli(cé)es, à savoir Isabelle Huppert et Robert Pattinson.

Et que reste-t-il à la fin? Un jury, présidé par Tom Tykwer, qui vandalise le peu qui nous restait d’espoir de sauver cette édition. Alors certes, il y a quelques prix mérités (meilleure actrice, meilleure contribution technique et le grand prix du jury) mais cela n’arrive pas à compenser l’incohérence de certains prix et surtout la scandaleuse attribution de l’Ours d’or à Touch Me Not.
D’ordinaire, nous commentons les prix dans l’ordre d’importance et de manière détaillée. Puisque ce palmarès est extravagant, nous allons tout d’abord créer notre propre ordre et rester laconiques, les critiques de tous les films étant par ailleurs mentionnées, il suffit d’aller y jeter un coup d’œil pour savoir ce qu’on en pense.

Grand Prix du Jury, Ours d’Argent : Twarz (MUG) de Małgorzata Szumowska 

La critique.

Un de nos films favoris, cela tombe bien! Décidément, la Berlinale sourit à la cinéaste polonaise qui avait déjà reçu en 2015, le Prix de la meilleure réalisation, ex æquo avec Radu Jude, pour son film Body.

A ce propos elle dit:

La Berlinale, c’est ma maison, je m’y sens comme chez moi. Si je suis là où je suis maintenant, c’est beaucoup grâce à la Berlinale qui m’a toujours soutenue et ouvert des portes.

A la question de savoir ce qu’elle pense du fait que les deux prix les plus importants soient attribués à des femmes:

C’est un signe du temps et d’espoir pour le futur. J’espère que pour ma fille par exemple, qu’elle pourra grandir dans une société enfin égalitaire.

[L’année passée également, la Berlinale avait primé une réalisatrice, la Hongroise Ildilkó Enyedi pour On Body and Soul (Testről és lélekről), N.D.A.]

— Małgorzata Szumowska
© Malik Berkati

Prix de la meilleure actrice, Ours d’Argent : Ana Brun pour Las herederas (Les héritières)

La critique.

Le nombre de rôles féminins d’envergure de cette Berlinale était impressionnant, ainsi que la qualité des actrices qui les ont endossés. Ana Brun faisait partie des favorites des festivaliers très contents de soutenir à travers elle les femmes du Paraguay souffrant d’enfermement dans une société machiste.

Je dédie ce prix à toutes les femmes paraguayennes, et plus particulièrement à ma mère, Judith Brun, qui m’a appris à aimer l’art, la peinture, la littérature.

— Ana Brun
© Malik Berkati

Prix Alfred-Bauer-Preis pour l’innovation, un film qui ouvre une nouvelle perspective, Ours d’Argent : Marcelo Martinessi pour Las herederas (Les héritières).

Comme nous le disions, ce film faisait partie de nos préférés… mais il n’ouvre aucune perspective nouvelle au cinéma, si ce n’est de n’avoir montré aucun homme à l’écran, ou à peine, de manière floue ou coupés. Prix totalement déconcertant! Le réalisateur paraguayen a tout de même tenté de donner lui-même une explication à ce prix:

Le cinéma paraguayen est quasi inexistant. Ce prix est un triomphe pour nous et peut-être qu’il ouvrira des perspectives au cinéma paraguayen pour qu’il s’inscrive dans le cinéma mondial.

Oui, peut-être. Le film a par ailleurs remporté le Teddy Award de la Berlinale, prix qui célèbre l’homosexualité au cinéma.

— Ana Brun et Marcelo Martinessi
© Malik Berkati

Prix de la meilleure contribution technique, Ours d’Argent : Elena Okopnaya pour les costumes et les décors de Dovlatov d’Alexey German Jr.

La critique.

On aurait aimé que ce très beau film gagne un prix plus important, même si on est déjà contents que cet étrange jury ne l’ait pas totalement oublié.
La caméra, le scénario, la réalisation, le film… il aurait pu gagner dans toutes ces catégories, mais il est vrai que celle-ci est également justifiée. Le travail de reconstitution d’Elena Okopnaya du Leningrad des années septante est époustouflant!

Cela a été un grand défi de tourner ce film car il ne reste que très peu de témoignages photos et documents de cette période. Il a fallu se documenter pendant au moins 6 mois sur tout ce qui a trait à Dovlatov, lire beaucpoup de littérature, voir des peintures, etc. Nous avons tout reconstituer, des papiers peints aux pots de cornichons. Tout ce que vous voyez dans le film a été recréer par nous, car il n’y a plus rien de cette époque. Nous avons essayer d’être honnêtes et intègres pour rendre à l’écran cette époque.

Moment très émouvant quand elle explique:

Ce soir je dois penser à mon professeur d’art qui un jour m’a dit: il y a quelque chose qui cloche dans tes travaux. J’ai cru que ma carrière allait s’arrêter ce jour-là. Mais aujourd’hui je suis là!

— Elena Okopnaya
© Malik Berkati

Prix de la meilleure réalisation, Ours d’Argent : Wes Anderson pour Isle of Dog

La critique.

Encore un prix étonnant. Le prix du scénario, pourquoi pas. Mais la réalisation, c’est un peu tiré par les cheveux.
Comme Wes Anderson n’était pas là, Bill Murray, une des voix du film d’animation est venu chercher l’Ours pour lui, ne manquant pas de faire son show, comme de mettre son bonnet à l’Ours.

Je suis venu il y a 10 jours en chien à la Berlinale, j’en repars avec un ours! Ich bin ein Bärliner Hund!

— Bill Murray
© Malik Berkati

Prix du meilleur film documentaire toutes sections confondues: Waldheims Walzer de Ruth Beckermann

La critique.

Même si on regrette un peu que Markus Imhoof et son excellent Eldorado n’ait pas gagné le prix, ce film documentaire le mérite parfaitement. Il tire du passé les ficelles qui agitent à nouveau cette ère où des Trump, Orbàn, Erdogan, Duterte, etc. arrivent sans problèmes au pouvoir.

Ce film est très actuel malheureusement. Quand j’ai commencé à travailler dessus, je pensais que j’allais raconter un morceau d’histoire mais quand j’ai fini, j’ai dû constater que des Trump ou Orbàn étaient arrivés au pouvoir avec les mêmes recettes. Et notre petit pays qu’est l’Autriche retombe dans les mêmes schémas avec Sebastian Kurz et ses alliés de l’extrême-droite qui prennent le pouvoir!

Le film va sortir en mars en Autriche:

Beaucoup de gens se réjouissent de pouvoir le voir, mais je dois dire que j’ai déjà reçu des courriels à la rhétorique et au ton nazis pur jus. Je dois dire que cela m’a choqué. J’espère que ce film va aider à faire bouger quelque chose dans la société, pas seulement en Autriche, car on voit qu’avec du courage civique on peut contrecarrer ces gens.

— Ruth Berckermann
© Malik Berkati

Prix du meilleur acteur, Ours d’Argent: Anthony Bajon pour La prière de Cédric Kahn

La critique.

Il y avait, il est vrai, moins de choix pour le meilleur acteur que la meilleure actrice, mais assurément, quelques acteurs qui auraient beaucoup plus mérité le prix (par exemple Franz Rogowski pour In den Gängen ou Milan Marić pour Dovlatov pour ne citer que ces deux). Certes le jeune homme est sympathique, mais il surjoue encore un peu trop et manque de crédibilité dans certaines situations…

A la question s’il a prié pour avoir ce prix:

Oui, j’ai beaucoup prié pour avoir cet Ours, mais cela reste quand même inconcevable que je l’aie reçu. J’ai l’impression d’être dans un rêve et que je vais me réveiller.

Comme on comprend son étonnement… mais il faut croire que la prière peut vraiment faire des miracles!

— Anthony Bajon
© Malik Berkati

Prix du meilleur scénario, Ours d’Argent : Manuel Alcalá et Alonso Ruizpalacios pour Museo

La critique.

Encore un prix totalement à côté de la plaque. Le film, inspiré d’une histoire vraie, n’est pas mauvais, mais il est injuste pour ceux qui ont travaillé sur des scénarios originaux ou sur des biopics qui tiennent la route, comme Dovlatov, que ces scénaristes remportent ce prix.

— Manuel Alcalá et Alonso Ruizpalacios
© Malik Berkati

Ours d’Or : Adina Pintilie pour Touch Me Not

La critique.

Adina Pintilie a également remporté le Prix du meilleur premier film. Sans commentaires si ce n’est que si on n’avait absolument besoin de donner quelque chose à ce projet artistique, le Prix Alfred-Bauer-Preis pour l’innovation aurait été acceptable.

— Adina Pintilie (au centre)
© Malik Berkati

Vous pourrez retrouver d’autres critiques de nombreux films des sections parallèles dans les jours qui suivent ou lors de leurs sorties en salle. Merci de nous avoir suivis pendant ces 10 jours!

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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